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 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • « (…) Mais les frontières de ce que notre conscience embrasse ou non du regard peuvent se déplacer. Il y a vraiment des êtres humains, ici, qui traversent la vie avec une certaine satisfaction intérieure, parce qu'ils ne se cabrent pas en face de ce qui vient à eux, croyant au règne d'une sagesse universelle, convaincus que même les événements qui nous irritent sont imprégnés de cette sagesse agissante (…). »

    Berlin, 7 décembre 1915 - GA157a

    Rudolf Steiner
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Deuxième conférence issue du recueil de conférences « Comment retrouver le Christ? »
Rudolf Steiner - Dornach, 24 décembre 1918
GA187 - Éditions anthroposophiques romandes (1997)
Traduit depuis l'allemand par Isabelle Redaud



 Note de la rédaction :
Les titres intercalaires ci-dessous ont été ajoutés par la rédaction de soi-esprit.info et ne figurent ni dans l’édition imprimée, ni dans la conférence, évidemment. C'est nous aussi qui avons formulé le titre de la conférence sous les termes : « Noël peut aussi rappeler la naissance du christianisme lui-même dans l'évolution terrestre ».

 

La nécessité d’appréhender de manière nouvelle l’impulsion de Noël ainsi que le Christ

L'atmosphère qui imprègne notre époque est peu propice à susciter actuellement chez beaucoup d’êtres humains cet approfondissement intérieur, dont parlent les mythes et les légendes, lorsqu'ils évoquent ces nuits suivant la nuit de Noël et pendant lesquelles l'âme qui s'y est préparée peut faire l'expérience du monde spirituel. Vous connaissez une de ces légendes si émouvantes à travers les exposés qui ont été présentés ici : celle d'Olaf Asteson[1]. Et bien des choses analogues mettent l'accent sur le temps de Noël avec la même insistance.

Cependant il est clair, non seulement pour celui qui observe l'intimité de l'âme humaine, mais aussi pour celui qui aujourd'hui considère l'atmosphère générale de l'époque dans son aspect extérieur, que l'atmosphère de Noël, l'impulsion de Noël doit à nouveau être appréhendée par les humains. Ce qui vit dans le souvenir de Noël, dans la pensée de Noël doit toucher l'âme d'une nouvelle manière. Voyons donc, pour jeter un regard sur le cercle élargi entourant l'atmosphère religieuse et spirituelle d'aujourd'hui, combien, à l'époque actuelle, est faible ne serait-ce que la tendance de considérer le Christ comme tel, de l'accueillir dans l'âme.

Si vous cherchez dans les propos de ceux qui croient aujourd'hui parler du Christ, si vous cherchez dans leurs discours les signes distinctifs entre le Christ et Dieu le Père, vous ne trouverez guère de différence que dans le nom. En effet, tandis que le Christ, aujourd'hui encore, se dresse chez certains croyants au centre de leur confession religieuse et que tous les autres aspects divins perdent pour ainsi dire de leur éclat, nous avons vu depuis longtemps déjà monter une théologie qui a au fond perdu le Christ, qui parle d'un Dieu en général, même quand elle parle du Christ. Le caractère particulier dont on doit parler quand le cœur humain s'élève vers le Christ, il nous faut le trouver à nouveau. Et peut-être la fête de Noël la plus digne est-elle aujourd'hui celle qui imprime vraiment dans l'âme la manière dont l'humanité peut à nouveau retrouver le Christ. Si l'impulsion qui mène les âmes humaines au Christ doit être vraiment réveillée, on doit peut-être, il est vrai, prendre en considération divers aspects de l'histoire de l'évolution humaine, les prendre en considération au sens de la science de l’esprit.

La fête de Noël, en effet, ne peut pas seulement nous rappeler, comme il se doit, l'entrée de Jésus dans l'existence terrestre, mais elle peut nous rappeler aussi la naissance du christianisme lui-même, - l'entrée du christianisme dans le cours de l'évolution terrestre. Que notre regard spirituel soit donc dirigé tout d'abord, aimerais-je dire, vers la nuit de Noël du christianisme même, vers l'entrée, la naissance du christianisme au sein de la sphère terrestre. Les faits extérieurs sont bien sur connus universellement, mais ils devraient être approfondis.

 

L’opposition entre l'essence du temple de Salomon et l'essence du christianisme

Le christianisme entra dans le monde parmi les adeptes de l'Ancien Testament. Il entra dans le monde avec la personnalité du Christ Jésus. Nous regardons les phénomènes qui se sont produits parmi les adeptes de l'Ancien Testament lorsque le christianisme est né. Nous voyons comment ces adeptes vivent extérieurement dans deux courants distincts l'un de l'autre : le courant des Pharisiens et le courant des Sadducéens. Il est nécessaire de considérer toutes ces choses dorénavant sous un nouvel éclairage. Si nous évoquons en nous la manière dont nous regardons le chemin général que suit l'être humain individuel et le chemin que suit l'humanité, à vrai dire toute l'existence terrestre, ce chemin nous apparaît de plus en plus distinct du fait que nous le concevons en tant que situation d'équilibre entre la réalité luciférienne et la réalité ahrimanienne. Mais au fond, cela n'est que l'appellation que nous utilisons. Une conscience de ces faits, la réalité luciférienne, la réalité ahrimanienne et la situation d'équilibre entre les deux, était toujours présente chez certains êtres humains plus profonds que d'autres. Et dans le fond, l'élément pharisien au sein de l'évolution des anciens Hébreux, avec son opposition à l'élément sadducéen, n'est rien d'autre que l'opposition entre la réalité ahrimanienne et la réalité luciférienne. C'est dans le courant d'équilibre qu'est placé Jésus en entrant dans l'existence terrestre extérieure. Il entre dans l'existence terrestre extérieure en ce lieu dont la caractéristique la plus intérieure jusqu'au Mystère du Golgotha était donnée par le fait que se dressait là le temple de Salomon. Dans un certain sens, on ne comprend l'essence du temple de Salomon que si l'on peut concevoir ce temple en même temps en opposition au christianisme en devenir, en gestation. L'on sait que le temple de Salomon a été détruit pour le monde extérieur très rapidement après la naissance du christianisme. À cet endroit à partir duquel s'est répandue la spiritualité du christianisme, le monument extérieur de l'ancienne évolution, dont est issue cette spiritualité du christianisme, ne devait dès lors plus exister.

Il y a une opposition entre l'essence du temple de Salomon et l'essence du christianisme. Le temple de Salomon résumait dans des symboles merveilleux, grandioses, en partie gigantesques, ce que la vision du monde de l'Ancien Testament contenait. Le temple de Salomon a été une image de l'univers dans la mesure où, en raison de sa conformité, de sa structure interne, du bouillonnement d'entités spirituelles divines qui le traversaient, il pouvait être présenté comme la vision du monde par l'Ancien Testament. Mais ce temple de Salomon est toutefois une image de l'univers à certains égards extrêmement unilatérale. Le temple de Salomon est en effet une image spatiale de l'univers, une image qui a recours aux relations spatiales, aux formes spatiales lorsque les mystères de cet univers doivent être exprimés. Mais les symboles qui étaient dans le temple de Salomon s'animaient, aux yeux de ceux qui les contemplaient dans l'esprit de l'Ancien Testament .

Si nous voyons d'une part, dans le judaïsme pharisien et dans le judaïsme sadducéen, l'extériorisation de ce qui était donné à l'humanité par l'Ancien Testament, nous voyons d'autre part dans la symbolique du temple de Salomon l'intériorisation possible de cette vie de l'Ancien Testament. On aimerait dire que : ce qui s'est glissé dans toute la révélation de l'Ancien Testament se manifesta sous ces deux aspects, l'aspect extérieur, exotérique dans le judaïsme pharisien et dans le judaïsme sadducéen, l'aspect ésotérique dans les symboles mystérieux du temple de Salomon. Et, de cet exotérisme et de cet ésotérisme, jaillit ce qui devint alors le christianisme.

 

Sens caché de la nuit de Noël et pensée de Pâques

Tout d'abord inconnu du monde de cette époque où il naquit, le christianisme le fut aussi pour ce monde au sein duquel vivait jadis la spiritualité de l'humanité : le monde grec. Au sein de l'Empire romain de plus en plus vaste, dans la sphère même où se préparait le Mystère du Golgotha par la naissance de Jésus, on ne savait pas quel événement important s'était déroulé au sein du peuple juif. On ne savait rien de l'événement très important qui se préparait pour être le sens de la terre. Toutefois, même si l'humanité de ce temps laissa passer extérieurement cet événement très grandiose de l'évolution de la terre, intérieurement le christianisme était relié au monde entier entrant alors en considération.

Mais relié comment ? Le sens de ce que cache la nuit de Noël ne se dévoile que dans la pensée de Pâques. Et la pensée de Pâques, qui en vérité approfondit la pensée de Noël, qu'a-t-elle donc d'important ? L'important dans la pensée de Pâques est le regard vers le Sauveur de l'humanité qui meurt crucifié : la croix avec le Dieu mort. C'est dans l'humanité qu'est né le dessein, l'acte de tuer le Dieu apparaissant parmi elle. Toute la grandeur, toute la puissance de cette pensée devrait s'imprimer à nouveau dans les âmes humaines. Regarder l'acte par lequel le Dieu, apparu sur terre, a été tué par les êtres humains, on devrait traduire cette pensée dans la langue dans laquelle elle peut être comprise ! Essayons cela à partir d'un point de vue au moins.

 

La signification des actes mystériques dans les temps anciens

Quand nous tournons notre regard vers le Mystère du Golgotha - vous le savez par mon livre Le Christianisme et les Mystères antiques[2] - ce Mystère du Golgotha est comme une grande rencontre historique de ce qui a été représenté dans les anciens mystères. Ce qui avait lieu dans les anciens mystères en tant qu'acte sacrificiel, en tant qu'acte initiatique, ce qui avait lieu dans les temples avec, aimerait-on dire, une valeur réduite, fut placé dans le grand plan de l'histoire du monde, se déroula dans la sphère de toute l'existence terrestre. En quelque sorte, l'initiation de l'humanité elle-même fut sortie des temples et placée devant toute l'histoire de la terre.

Certes, il faut se demander : que pensait donc en réalité l'être humain d'autrefois qui avait le droit de participer aux actes sacrés des mystères à une époque où les mystères avaient encore leur signification réelle, ancienne ? Grâce à sa préparation aux mystères, il était absolument clair pour l'être humain que ce qui se déploie d'abord dans le monde sensible, ce que peut comprendre l'entendement humain, est un simple monde de phénomènes, un monde de l'apparence sensible ; ce que l'être humain vit tout d'abord dans son environnement, pendant ses moments de veille entre la naissance et la mort, n'est que l'observation extérieure, la manifestation sensible de l'essence intérieure, mais cette essence intérieure se cache dans la vie courante de l'homme. Cependant dans les actes sacrés des mystères, l'être humain recherchait en quelque sorte dans les profondeurs de l'existence ce qui affluait comme essence, ce qu'on pouvait sortir, extraire de la simple nature phénoménale, de la simple existence apparente comme étant l'essentiel, comme étant ce qui est vraiment réel. Celui qui participait autrefois aux mystères était à tout moment enclin à se dire : si je vais ainsi de par le monde et observe la nature extérieure, ceci est apparence. Si je vis ceci ou cela dans le monde, ceci est apparence. Si je fais ceci ou cela pour le monde, ceci est apparence. Mais si je peux participer dans le temple à l'acte sacré des mystères, alors il se passe quelque chose qui est vérité, qui n'est pas apparence. On extrait pour ainsi dire de l'existence apparente du monde quelque chose qui est transposé dans un acte sacramentel, et cet acte sacramentel renferme précisément la vérité face à l'apparence.

On doit se faire une idée claire sur toute la différence entre cette conception des mystères et la conception qui règne, par exemple, aujourd'hui à l'époque matérialiste si l'on veut évoquer en toute netteté l'essence de cette conception des mystères. On doit comprendre que tout ce que l'être humain aujourd'hui, à l'époque matérialiste, appelle réalité, a été défini comme étant une apparence par les adeptes des mystères tandis que, par exemple, l'acte sacramentel, le rite initiatique qui était accompli et qu'aujourd'hui la plupart des hommes regardent comme une chimère, passait chez les connaisseurs des mystères pour la seule réalité qu'ils pouvaient rencontrer dans la vie. C'est pourquoi un tel acte sacré n'était pas accompli n'importe quand, mais à certaines époques, quand on pensait qu'à travers les manifestations de la vie extérieure, pouvait pénétrer quelque chose de la véritable essence, qu'il était alors possible en quelque sorte de recueillir par les actes sacramentels dans le mystère. On a souvent fait remarquer qu'un acte sacramentel important consistait dans le fait de montrer le sacrifice du Dieu, la mort du Dieu et la résurrection du Dieu après trois jours. Dans cette cérémonie sacramentelle, on montrait à celui qui pouvait pénétrer plus profondément dans le monde extérieur - quand il voit en ce dernier - comment la mort dans ce monde extérieur peut révéler la véritable essence de ce monde, comment doit être cherché par-delà de la mort ce qui est vraiment la réalité.

 

Les temps anciens sont révolus. Le monde a perdu sa vie spirituelle divine.

Mais tout ce qui pouvait venir de l'atmosphère des mystères dans l'âme humaine, représentons-le nous en résumé au début de notre ère chrétienne comme l'expression de la réalité la plus importante parmi les phénomènes du monde. Quelqu'un, qui au début de cette ère chrétienne, aurait pu ressentir le cours entier de notre évolution terrestre, aurait pu se dire : dans les temps anciens, il était possible pour les hommes d'apprendre quelque chose de la réalité spirituelle divine par la science sacrée atavique. Ce temps est révolu. Si l'on survole l'évolution terrestre, on peut dire : dans les temps anciens se manifestait aux êtres humains, à partir de cette évolution terrestre, quelque chose du monde spirituel divin. Toutefois l'époque est arrivée où plus rien ne peut être extrait du contenu du monde pour conduire l'être humain à la réalité spirituelle divine. Le monde a perdu sa vie spirituelle divine. C'est ainsi qu'aurait parlé une telle âme. Vers quoi doit-on diriger son regard si l'on considère ce sens de l'évolution de l'humanité ? Où est ce qui est le sens réel de la terre à l'époque de la naissance du christianisme ? Où est ce qui s'exprime, ce qui est voulu au plus profond à cette époque ? Au Golgotha sur la croix: c'est la mort ! Ce qui jaillissait autrefois de l'évolution terrestre pour le salut des hommes est mort de soi-même. En considération du Dieu mort, l'impulsion terrestre, l'impulsion terrestre la plus profonde, pénétrant vraiment loin dans l'essence du monde au moment de la naissance du christianisme est donnée.

 

Le christianisme né au sein de l'âme de l'ancien judaïsme

Lorsqu'on ressent les choses ainsi se présente alors toute la grandeur de ce qui importe dans ce contexte. L'ancien savoir, l'ancienne conception du monde s'étaient fondus dans le temple de Salomon ; mais cette ancienne conception du monde ne contenait plus rien de ce qui l'aurait fait grandir. Un élément nouveau devait entrer dans l'évolution du monde. Et c'est ainsi qu'eurent lieu, dans l'évolution, simultanément la chute du temple de Salomon et la montée, la naissance du christianisme. Le temple de Salomon : une image spatiale symbolique du contenu du monde ; le christianisme, résumé en tant que manifestation de l'époque : une nouvelle image du monde. Dans le christianisme, l'essentiel n'est pas l'aspect qui peut apparaître sous forme d'image dans l'espace comme le temple de Salomon ; l'essentiel du christianisme, est que l'on comprenne : l'évolution terrestre est allée jusqu'au Mystère du Golgotha ; le Mystère du Golgotha est intervenu, et elle se poursuit à travers lui, de telle ou telle manière par le Christ se répandant dans l'humanité. Seul celui qui conçoit le christianisme au travers d'images se déroulant dans le temps le comprend. Le contenu intime du christianisme ne se laisse en rien comparer à ce qui apparaît dans les images spatiales, même pas dans ces images gigantesques, grandioses du temple de Salomon. Pourtant le temple de Salomon, ainsi que ce qui était l'intérieur de la vie pharisienne, sadducéenne, contenaient l'âme de l'ancienne conscience du monde. Quiconque cherche l'âme de la conscience du monde d'il y a deux mille ans trouve cette âme dans le judaïsme de l'Ancien Testament. Dans cette âme était descendu le germe du christianisme, un nouveau germe provenant en quelque sorte de tout ce qui s'exprimait dans l'espace : ce qui ne peut s'exprimer que dans le temps. Le devenir[i], orienté vers l'existence : c'est le rapport intérieur du christianisme naissant avec la réalité psychique du monde de jadis, avec le judaïsme présent dans le temple de Salomon mais qui s'effondre par la suite. C'est de l'âme de l'ancien judaïsme que naquit le christianisme.

 

Le christianisme né dans l’esprit qui était celui de l'hellénisme

Ce christianisme a cherché l'esprit dans l'hellénisme. De même que le christianisme a cherché l’âme dans le judaïsme, il a cherché l'esprit dans l'hellénisme. Les Évangiles eux-mêmes, tels qu'ils ont été transmis au monde - excepté ce qui n'a pas été transmis -, tels qu'ils se sont répandus dans le monde, sont imprégnés essentiellement de l'esprit grec. Les pensées au travers desquelles le monde pouvait penser le christianisme sont issues de la sagesse de l'esprit grec. Les premiers plaidoyers des Pères de l'Église, c'est en langue grecque qu'ils ont paru. De même que le christianisme est né dans l'âme qui était, pour l'humanité d'autrefois dans le judaïsme, ce christianisme est né dans l'esprit qui était celui de l'hellénisme pour l'humanité d'autrefois.

 

Le christianisme né dans le corps de la civilisation romaine

Mais c'est la civilisation romaine qui donna le corps. La civilisation romaine était pour le temps jadis essentiellement ce qui pouvait réaliser l'organisation extérieure, l'idée de l'Empire. Le judaïsme était l'âme, l'hellénisme était l'esprit, la civilisation romaine était le corps - corps bien sûr au sens où la structure sociale de l'humanité est le corps. La civilisation romaine est essentiellement la mise en forme des tendances, des institutions extérieures, et les pensées à propos des institutions extérieures vivent dans des institutions extérieures : l'élément corporel dans l'être historique, dans le devenir historique. De même que le christianisme est né dans l'âme du judaïsme, dans l'esprit de l'hellénisme, il est né dans le corps de l'Empire romain.

 

La naissance du christianisme lui-même considérée à travers la pensée de Noël

Des natures superficielles trouvent même que tout ce que contient le christianisme serait explicable à partir du judaïsme, de l'hellénisme et de la civilisation romaine. Or, de même que des chercheurs matérialistes trouvent que tout ce qui est en l'homme provient de ses parents, grands-parents, etc., et ne réfléchissent pas que l'âme vient de sphères spirituelles et utilise le corps à seule fin d'avoir un habit, de même ces natures superficielles ont tendance à dire que le christianisme consiste uniquement dans ce qui est en réalité son enveloppe. Bien sûr, l'essentiel du christianisme entre dans le monde avec le Christ Jésus lui-même, mais ce christianisme est né dans l'âme juive, dans l'esprit grec et dans le corps de l'Empire romain. C'est en quelque sorte la naissance du christianisme lui-même, considérée à travers la pensée de Noël.

 

Se frayer un chemin à travers les ombres du passé qui continuent d’agir

II est important de prendre cette pensée non comme une simple pensée théorique extérieure, mais de l'approfondir réellement en la reliant à la pensée de Noël ; en quelque sorte d'apprendre à regarder en vérité la puissance que cette pensée peut avoir en rapport avec l'esprit nouveau qui entre dans le devenir du monde par les Esprits de la Personnalité, comme je l'ai exposé ici récemment[3]. Ce qui, dans le devenir du monde, veut s'implanter dans les événements, doit d'abord se frayer un chemin à travers ce qui reste de l'ancienne époque. C'est cela le mystère du devenir du monde : en quelque sorte une évolution au cours normal est là, ainsi qu'un élément luciférien et ahrimanien qui reste en arrière, qui modifie, gêne, mais aussi d'une certaine manière porte le devenir du monde en marche. J'ai souvent attiré l'attention là-dessus : on ne peut pas simplement fuir cette réalité luciférienne et ahrimanienne, on doit l'envisager calmement, on doit s'opposer à elle consciemment, mais ce qu'on ne doit pas, c'est simplement supporter ces choses inconsciemment. De ces impulsions du monde, il reste en quelque sorte des ombres qui continuent d'agir quand le nouveau est déjà là, mais dont le caractère luciférien ou ahrimanien doit être percé à jour. Cet élément luciférien-ahrimanien doit continuer d'aller avec l'évolution, mais il ne doit pas prendre une forme absolue, son caractère luciférien et ahrimanien doit être percé à jour. Il est resté une ombre du temple de Salomon, il est resté une ombre de l'hellénisme, il est resté une ombre de l'Empire romain. Il y a presque deux mille ans, il allait de soi que le christianisme était né de ces trois pôles - l'âme, l'esprit et le corps. Mais l'âme, l'esprit et le corps ne pouvaient pas disparaître aussitôt. Ils restaient d'une certaine manière encore actifs. Aujourd'hui le temps est arrivé où cet état de fait doit être vu clairement, où le caractère absolument unique de cette impulsion du Christ doit être reconnu.

Une ombre est aussi restée de l'extrait le plus essentiel de l'Ancien Testament ésotérique, du mystère du temple de Salomon, une ombre est restée de l'hellénisme, et une ombre est restée de l'Empire romain. On doit apprendre à distinguer les ombres de la lumière. Ce sera la mission de l'humanité dès maintenant et dans un avenir proche : différencier les ombres et la lumière de manière juste.

 

Les ombres attardées de l’Empire romain, du temple de Salomon et de l’esprit grec

Nous voyons l'ombre de l'Empire romain dans le catholicisme romain aujourd'hui. Cette ombre n'est pas le christianisme, c'est l'ombre de l'ancien Empire romain au sein duquel le christianisme devait naître, dans les formes duquel continue de vivre ce qui devait se développer autrefois en tant que structure du christianisme. Mais nous devons apprendre, l'humanité doit apprendre à distinguer l'ombre de l'ancien Empire romain du christianisme. Dans la constitution de l'Église catholique on n'a pas ce qui est l'essence du christianisme, on ne l'a pas du tout dans la constitution des Églises chrétiennes. Dans la constitution de ces Églises vit ce qui a vécu dans l'Empire romain de Romulus à l'Empereur Auguste, ce qui s'est développé là. L'illusion est due au seul fait que c'est dans ce corps qu'est né le christianisme.

Le temple de Salomon aussi est dans ce sens resté comme une ombre. Ce qui constituait les mystères du temple de Salomon s'est, à quelques exceptions près, presque entièrement dissous dans toutes les sociétés maçonniques et autres sociétés secrètes du temps présent. De même que l'Église romaine est l'ombre de l'ancien Empire romain, ce qui continue de vivre à travers ces sociétés, quoi qu'elles affirment - même si elles excluent le judaïsme - est l'ombre de l'ancien judaïsme, l'ombre du culte ésotérique de Yahvé. À nouveau il faut distinguer l'ombre de la lumière, de même qu'on doit distinguer de la lumière l'ombre exprimée dans l'Empire latin qui continue d'agir dans l'Église catholique, dans les Églises en général. De même qu'on doit distinguer l'ombre de la lumière qui brille dans le christianisme, on doit distinguer ce dans quoi le christianisme doit naître en tant qu'âme, mais qui continue d'agir comme une ombre dans ces sociétés secrètes qui ont dans leurs fondements une symbolique rappelant la symbolique salomonienne.

Ces choses doivent être reconnues, ces choses doivent être bien observées, toutefois elles doivent être éclairées à notre époque par les nouvelles révélations dont nous avons parlé ces jours-ci.

L'ombre de l'esprit grec dans lequel le christianisme devait naître, c'est donc - malgré toute la beauté de l'hellénisme, malgré tout le contenu esthétique et par ailleurs remarquable de l'hellénisme, malgré l'action bénéfique qu'exerce sur nous l'hellénisme - c'est donc la conception moderne du monde cultivé qui a conduit à cette catastrophe effroyable qui a éclaté dans l'humanité (guerre 1914-1918). Lorsque l'hellénisme vivait avec sa conception du monde, c'était autre chose. Toute chose est appropriée à son époque. Si on la prend dans l'absolu, on continue à la porter bien qu'elle soit démodée, et elle devient l'ombre d'elle-même ; or l'ombre, ce n'est pas la lumière, elle peut devenir son opposé. L'aristotélisme montre encore quelque chose de l'ancienne grandeur grecque, l'aristotélisme dans son nouvel habit est le matérialisme.

Ce dans quoi le christianisme est né, c'est l'âme juive, l'esprit grec, le corps romain ; mais les trois ont laissé leur ombre derrière eux. L'appel traverse notre époque, tel le son de la trompette céleste : reconnaître cet état de choses dans son essence véritable, regarder au travers des ombres vers la lumière.

 

La bonne volonté de trouver, à travers les ombres, le chemin vers la lumière. Écouter son propre être et non les ombres

Vraiment, quiconque se plonge dans l'époque aujourd'hui et accueille objectivement, sans préjugé les faits horribles et douloureux des dernières années, celui-ci ne peut pourtant s'empêcher de tourner son regard pour voir si une lumière quelconque ne brille autrement dans l'obscurité de la terre que ces lumières qui sont les seules auxquelles les hommes veulent encore bien croire aujourd'hui. La bonne volonté, on devrait la chercher pour trouver, à travers les ombres, le chemin vers la lumière. Mais les ombres seront très importantes. Les ombres seront mises en valeur par ces hommes qui, personnellement, ont peut-être peu subi les grandes souffrances de l'humanité du temps présent. Ils n'ont pas, ou peu, ressenti l'immense douleur qui traverse le monde ; elle est une preuve en soi que le grand nombre de pensées apparues étaient destinées à faire naufrage. Quiconque essaie, avec une plus grande compréhension, d'avoir une vue d'ensemble de ce qui aujourd'hui n'est vraiment pas difficile à voir, et a la bonne volonté de tourner son regard sans préjugé vers ce qui se passe parmi les êtres humains, celui-là recevra l'impulsion de chercher la lumière. Et l'on devrait aujourd'hui accorder quelque importance à cette impulsion intérieure de l'âme humaine, et ne pas écouter ceux qui - selon la place qu'ils occupent - veulent seulement défendre une quelconque ombre ancienne. Mais on devrait écouter son propre être qui parle clairement pour peu qu'on ne veuille pas couvrir sa voix par ce qui retentit dans les affirmations des ombres extérieures.

On pourra bien se convaincre aujourd'hui - si l'on regarde avec sympathie, avec compassion ce qui a eu lieu, ce qui a lieu, ce qui aura lieu - on verra qu'une forme étrange, une forme humaine défigurée, enveloppée de vêtements tissés d'ombres, une forme qui réunit en elle dans les pensées, les sensations, dans les sentiments et les impulsions volontaires, ce qui a conduit l'humanité sur une mauvaise pente et peut encore l'y conduire. Au cœur de ce qui se déroule à l'extérieur vit l'ombre des trois pensées que nous avons caractérisées.

Mais quiconque se tient prêt à tourner son regard vers cette forme dont l'habit est tissé d'ombres, celui-là se prépare aussi de la manière juste à regarder vers autre chose : regarder vers cet arbre dont les lumières brillent déjà aujourd'hui dans l'obscurité ; vers cet arbre que l'on contemple quand on ne se laisse pas tromper par la triple présence de l'ombre, tromper par une symbolique démodée, par une Église démodée, par une science matérialiste démodée ; regarder d'un cœur pur ce qui veut briller dans l'obscurité comme un véritable arbre de Noël, sous lequel est couché l'Enfant Christ éclairé de manière nouvelle par la lumière de Noël. C'est ce que voudrait faire en fin de compte la science de l’esprit d'orientation anthroposophique : chercher la lumière de Noël afin que l'Enfant Jésus, qui est venu dans le monde pour d'abord agir et ensuite être compris, puisse l'être peu à peu. Éclairer modestement le plus grand des événements de l'existence terrestre, c'est ce qu'aimerait faire la science de l’esprit d'orientation anthroposophique au sein des courants religieux de l'humanité. On ne comprendra pas cette lumière, que cette science de l’esprit veut reconnaître comme sa lumière de Noël, si l'on n'a pas la volonté réelle de pénétrer la triple présence de l'ombre à notre époque. Les temps sont graves. Et celui qui n'a pas la bonne volonté de prendre l'époque au sérieux ne pourra pas, encore dans cette incarnation, regarder vers ce qui, pour tous les êtres humains de bonne volonté, devrait être vraiment là à cette époque pour guérir tant de blessures qui pourraient encore être infligées à l'humanité. L'être humain qui est aujourd'hui de bonne volonté devrait regarder vers ce qui peut apparaître tandis que s'allume la lumière de Noël de la science de l’esprit d'orientation anthroposophique.

La lumière est encore faible, et celui qui est un adepte de cette lumière reste modeste. Il ne veut pas faire l'éloge de cette lumière au monde comme de quelque chose de particulier, car il sait que sa clarté est encore faible et insignifiante, que beaucoup d'êtres humains et beaucoup de générations devront passer avant que ce qui brille aujourd'hui encore faiblement puisse briller plus fort. Cependant, même si la lumière brille faiblement, elle éclaire quelque chose qui n'agit pas faiblement au sein de l'évolution terrestre de l'humanité; mais qui agit très fortement en étant le sens le plus profond de l'évolution humaine ; elle éclaire ce que nous pouvons appeler la naissance du christianisme, la Nuit Sainte du christianisme. Que l'on comprenne, à côté du sens de Pâques donné par la science de l’esprit d'orientation anthroposophique, avant toutes choses ce sens de Noël qui est aussi le sien ; que bien des âmes puissent attendre dans cet état d'âme l'approfondissement de ces nuits qui suivent la nuit de Noël : c'est alors que ces âmes pourront ressentir l'actualité de l'appel qui traverse le monde et qui invite à regarder vers l'apparition de Jésus attendant ce moment où il devrait trouver la mort pour donner, dans sa vie spirituelle d'après la mort, un sens nouveau à l'humanité et à l'évolution terrestre.

Ressentons un peu cette atmosphère de Noël qui doit entrer dans notre âme précisément à partir de la science de l’esprit ! Tandis que je voudrais exprimer devant vous ce sentiment comme un salut béni de Noël venant du plus profond de l'âme afin que vive largement en vous cette atmosphère sainte, prête à recevoir la nouvelle révélation du Christ, je désire en cet instant commencer solennellement cette nuit de Noël en espérant que vous la commencez avec cette gravité dont je voulais parler dans mes propos d'aujourd'hui, avec cette gravité qui convient à la situation mondiale présente. C'est animé de cette gravité, mes chers amis, que je vous souhaite de tout cœur: une sainte, solennelle nuit de Noël !!

Rudolf Steiner

[Gras ou italique : S.L.] 

 

Notes

[1] La légende d’Olaf Asteson : voir à ce sujet les conférences sur Le Songe d’Olaf Asteson dans le volume Aspects spirituels de l’Europe du Nord et de la Russie. Le Kavevala – le songe d’Olaf Asteson – l’âme russe, GA0158 (EAR) et L’Art à la lumière de la sagesse des mystères, GA275 (EAR).

[2] Le Christianisme et les Mystères antiques, GA008 (EAR).

[3] Conférence du 20 décembre 1918 dans Les Exigences sociales fondamentales de notre temps, GA186 (Éditions Triades)

 

Note de la rédaction

[i] Exprimé depuis un point de vue quelque peu différent : dans les temps anciens, il n’y avait pas de conscience de la notion d’évolution terrestre. L’image du monde était « statique », ou plutôt « répétitive » si l’on porte son regard sur les conceptions orientales, où tout n’est qu’un éternel retour des mêmes choses. Tandis qu’avec le christianisme est introduit une conscience d’une évolution d’un passé (en l’occurrence révolu : le Dieu meurt sur la croix) vers un avenir qui n’est pas une simple répétition, mais un dépassement de tout le passé (la résurrection du Dieu passé par la mort).

 

Note de la rédaction
Un extrait isolé issu d'une conférence, d'un article ou d'un livre de Rudolf Steiner ne peut que donner un aperçu très incomplet des apports de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique sur une question donnée.

De nombreux liens et points de vue requièrent encore des éclairages, soit par l'étude de toute la conférence, voire par celle de tout un cycle de conférence (ou livre) et souvent même par l'étude de plusieurs ouvrages pour se faire une image suffisamment complète !
En outre, il est important pour des débutants de commencer par le début, notamment par les ouvrages de base, pour éviter les risques de confusion dans les représentations.

Le présent extrait n'est dès lors communiqué qu'à titre indicatif et constitue une invitation à approfondir le sujet.
Le titre de cet extrait a été ajouté par la rédaction du site  www.soi-esprit.info   

 À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens !
Merci de prendre connaissance
d'une IMPORTANTE mise au point ici.

 

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