Extrait de la première conférence du cycle « Formation du destin – Vie après la mort »
Berlin, 16 novembre 1915
Rudolf Steiner – GA157a
2005 - Éditions Anthroposophiques Romandes
Traduction : Claudine Villetet
Ndlr : Cet extrait de conférence présuppose une étude préalable de concepts de base de la science de l’esprit d’orientation anthroposophique, sans quoi le lecteur ne pourra pas en pénétrer la compréhension.
Nous conseillons vivement de prendre connaissance de l’extrait de la même conférence suivant : «La vie du sommeil serait beaucoup plus active que la vie… de veille ?!» (sauf si le lecteur très familiarisé avec les concepts permettant d’éclairer les rapports qui existent entre vie nocturne et une partie de la vie post-mortem).
(...) Voyez-vous, particulièrement dans les temps que nous vivons actuellement, un nombre considérable d'êtres humains relativement jeunes franchissent la porte de la mort. J'ai déjà parlé, sous des points de vue très divers, de la signification de cet événement pour la vie globale de l'être humain[1]. Mais regardons surtout les deux sections que nous venons de caractériser[2] - nous considérerons d'autres aspects dans les jours à venir - la vie qui ne dure, dans le corps éthérique, que les jours où l'on a devant soi le tableau de sa vie, et ensuite, la vie de l'âme dans le monde de l'âme. Tandis que, comme cela se passe pendant la nuit, on traverse la vie terrestre qui vient de s'écouler, on pourra facilement convenir des raisons qui poussent le chercheur en esprit à dire : ces deux sections de vie entre la mort et une nouvelle naissance sont déjà différentes pour l'être humain qui a franchi relativement tôt la porte de la mort et pour celui qui la franchit tardivement. Ce sujet est d'une actualité brûlante, au regard du grand nombre d'êtres qui franchissent actuellement, à un âge relativement peu avancé, la porte de la mort.
Voyez-vous, les segments particuliers de la vie physique que j'ai nommés[3] ont une grande importance pour cette vie : de la première année à la septième année, au changement de dentition, puis jusqu'à la quatorzième année, jusqu'à la puberté, puis jusqu'à la vingt-et-unième année, etc., de sept ans en sept ans[4]. Et si vous prenez au sérieux ces différentes séquences de la vie, vous trouvez comme point crucial la 35e année. Jusqu'à ce moment, nous nous trouvons dans une sorte de phase préparatoire ; plus tard nous avons achevé cette préparation, et nous édifions notre vie sur la base de ce qui a été préparé jusqu'à la 35e année. Cette 35e année a une très grande importance. Ce n'est pas principalement la croissance physique, mais la croissance psychique qui marque cette période, chez un être dont l'âme croît véritablement. Ensuite, il faut souligner avec force que la maturité de la vie ne peut être pleinement atteinte qu'après la 35e année. Mais si nous observons cette 35e année d'un autre point de vue, elle nous apparaîtra d'une importance encore plus grande. Voyez-vous, quand nous faisons défiler devant notre âme ces périodes de 7 ans, nous trouvons d'abord jusqu'à la 7e année la formation du corps physique, puis celle du corps éthérique, jusqu'à 14 ans. De 14 à 21 ans, ce que nous appelons le corps astral se structure, puis l'âme de sensibilité jusqu'à la 28e année, l'âme d'entendement ou de cœur jusqu'à la 35e année, puis l'âme de conscience jusqu'à la 42e année. Puis nous parvenons au soi-esprit, qui est une sorte de seconde évolution du corps astral, etc. Les périodes suivantes ne se déroulent plus sur un rythme septénaire, elles sont irrégulières. La régularité n'apparaîtra qu'à l'avenir. Si l'on néglige les erreurs venant de l'éducation, on peut considérer que l'évolution jusqu'à la 35e année s'effectue avec une approximative régularité.
Vous pouvez découvrir la signification plus profonde de toute cette évolution en observant des êtres qui meurent à des âges différents. Supposons - par exemple - que nous suivions le chemin de l'âme d'une fille ou d'un garçon de 11, 12, 13 ans, une âme qui a franchi à 11, 12, ou 13 ans la porte de la mort. D'après ce que j'ai déjà dit, il se trouve en ce cas-là que le corps éthérique - qui aurait pu en théorie soutenir la croissance des années suivantes - porte des forces inutilisées. Par ailleurs, l'être humain se prépare en fait à la mort pendant toute la vie entre la naissance et la mort. Il se prépare vraiment à la mort, car en fait, toute notre vie est une préparation à la mort, en ce sens que nous travaillons continuellement à la destruction du corps. Si nous ne pouvions pas le détruire, nous ne pourrions avancer vers une perfection quelconque, car nous achetons pour ainsi dire cette perfection au prix d'une destruction du corps physique extérieur. Quand l'être humain franchit la porte de la mort à 13 ans, il n'a pas effectué le long travail de destruction qu'il aurait pu accomplir. Il ne collabore pas au travail auquel il aurait pu collaborer. Cela se traduit de façon curieuse.
Si nous suivons le chemin de cette âme, nous la trouvons dans le monde spirituel, à un certain moment entre la mort et une nouvelle naissance, relativement très tôt, en compagnie très étrange : nous la retrouvons parmi les âmes qui, se préparant pour une prochaine vie, vont bientôt devoir descendre sur cette terre, parmi des âmes donc qui vont bientôt s'incarner. C'est parmi ces âmes que vivent ceux qui ont franchi la porte de la mort à 11 ans, 12 ans, 13 ans, 14 ans, c'est là qu'elles sont placées. Et quand on examine de plus près cette conjoncture, on découvre que, curieusement, ces âmes qui vont bientôt descendre dans leur vie terrestre ont besoin de ce que ces autres âmes peuvent leur apporter en provenance de la terre: elles s'en servent comme d'un supplément de forces nécessaires à leur incarnation. Les âmes des jeunes adolescents constituent donc une aide considérable pour les âmes qui doivent descendre sur terre.
Cette aide qu'apportent, dans des conditions normales, des jeunes enfants, qui étaient tout à fait normaux, c'est-à-dire qui n'avaient pas une vie spirituelle exceptionnelle, mais étaient seulement des enfants éveillés, cette aide qu'ils apportent, on ne peut plus l'apporter quand on meurt à un âge avancé. On a alors une autre mission. Chacun doit agir selon son karma. Il ne s'agit pas de penser : «je voudrais mourir à tel ou tel âge». Chacun meurt à l'âge où le fait mourir son karma. L'aide qu'une âme peut apporter aux âmes qui attendent leur incarnation, elle ne peut plus l'apporter, si elle meurt plus tard. Cela est lié au fait que, d'une certaine manière, on est plus près du monde spirituel dans la première moitié de la vie que dans la deuxième moitié. D'un autre point de vue, ce n'est pas le cas. Mais d'un certain point de vue, on est plus près du monde spirituel dans la première moitié de la vie. Toute la vie se déroule ainsi : plus on est longtemps dans le corps physique, plus on s'éloigne du monde spirituel. Un enfant d'un an est encore très proche du monde spirituel. Il quitte le plan physique et est très vite dans le monde spirituel. Il en va ainsi jusqu'à la 14e année. Le lien qu'on a avec le corps physique permet d'arriver facilement dans le monde des âmes qui se préparent à s'incarner. Cela implique que si l'on meurt à l'âge tendre, on est amené à faire d'autres expériences en contemplant le tableau de sa vie, que si l'on meurt à un âge avancé. La 35e année marque un seuil important.
Quand on meurt avant la 35e année, on voit d'abord le tableau de sa vie, puis on retraverse les nuits de sa vie. Mais pendant cette rétrospective de la vie passée, on voit comme « de derrière le miroir », comme si l'on discernait derrière le tableau de la vie le monde spirituel que l'on a quitté en naissant. La perspective s'étend jusqu'au monde spirituel. Si on a franchi la 35e année, la situation est très différente. On ne voit plus comme quand on était soi-même dedans, avant de naître. Cela fait partie des choses que l'on remarque tout particulièrement à cette époque où meurent tant de personnes jeunes. Car cette faculté de voir encore le monde spirituel derrière les images perdure jusqu'à la 35e année. Après 14 - 16 ans, ce n'est plus une vision directe, mais à partir de là, et jusqu'à 35 ans, quand on meurt, c'est comme si dans le tableau rétrospectif de la vie, la vie spirituelle se reflétait encore partout. Donc, quand on meurt enfant, on voit, en fait, peu de choses de la vie qu'on a vécue. L'âme plonge presque directement dans le monde spirituel. Quand on meurt à 13 ans, on a un tableau rétrospectif devant soi, mais il y a le monde spirituel derrière. On le voit encore clairement, le monde spirituel. Si on meurt encore plus tard, on ne le perçoit plus, certes, de façon distincte, mais il est contenu dans ce qu'on voit comme sa propre vie. On est encore lié au monde dont on est issu, jusqu'à la 35ème année. Ainsi, celui qui meurt avant la 35e année, dès les jours de la rétrospective puis pendant la traversée rétrograde du monde des âmes, retourne en fait immédiatement, grâce à cette expérience, dans une sorte de patrie qu'il avait quittée à la naissance. Il fait immédiatement cette expérience : tu entres dans un monde d'où tu es venu. C'est d'une très grande importance, car celui qui meurt ainsi est transporté comme vous le voyez immédiatement, et d'un certain côté plus facilement, dans le monde spirituel que celui qui meurt plus tard. Il apporte donc, du fait de cette rétrospective qu'il a après la mort, dans sa prochaine vie entre la naissance et la mort, un bagage spirituel énorme, beaucoup d'esprit. Et ces nombreux jeunes qui meurent actuellement seront, de ce point de vue, des porteurs importants de vérités et des connaissances spirituelles quand ils redescendront sur terre dans une incarnation prochaine.
On voit ainsi que la douleur immense qui se déverse sur le monde est toutefois nécessaire au cours global de l'existence. Car le sang qui coule maintenant sera le symbole d'un certain rafraîchissement de la vie spirituelle dans un avenir déterminé, qui est nécessaire à l'évolution globale de l'humanité. Car les âmes qui franchissent aujourd'hui si tôt la porte de la mort redescendront autrement, la plupart redescendront d'une autre manière que celle dont elles seraient descendues, si elles étaient parvenues dans l'existence matérielle jusqu'à l'extrême limite de la vie, avant de mourir. C'est bien aussi la sagesse du monde, qui rappelle à présent un grand nombre d'âmes, afin qu'elles puissent contempler, dès la rétrospective et les expériences rétrogrades, de profonds mystères spirituels, d'une manière apparentée au terrestre. C'est cette même sagesse du monde qui emplit ces âmes de ce qu'elles contemplent avec plus d'intensité, quand elles le contemplent encore une fois, qui les fortifie par la vie terrestre plus courte qu'elles viennent d'accomplir.
C'est la sagesse réelle du monde. Et il nous faut dire que beaucoup de ce qui nous cause à juste titre une profonde douleur, quand nous ne pouvons diriger notre regard que vers l'existence terrestre, que beaucoup de choses montrent leur aspect réconciliateur, quand nous adoptons un point de vue spirituel. Il en va de même pour toute la vie. Certes, mes chers amis, des considérations de ce genre ne peuvent pas apaiser immédiatement la douleur terrestre. Cette douleur, il faut la traverser. Car c'est justement la condition pour qu'elle puisse être réparée. Si nous ne l'avions pas éprouvée dans le monde physique, elle ne pourrait pas être réparée. Mais bien que nous ayons de nombreux motifs de souffrance dans le monde physique, il y a aussi des moments où nous pouvons aller nous placer du point de vue du monde spirituel. Alors, nous reconnaîtrons mainte chose, qui nous apparaîtra nécessairement douloureuse d'un point de vue inférieur, comme un tribut qui doit être apporté aux mondes spirituels supérieurs auréolés de leurs sagesses, afin que l'évolution du monde et de l'humanité ne se poursuive pas de façon unilatérale, mais de tous côtés.
Il faut conquérir cet aspect réconciliateur de mainte douleur, mais pour cela, il faut d'abord traverser l'expérience de la douleur. La science de l'esprit ne peut certainement pas nous épargner la douleur, mais elle peut nous enseigner à la porter sur l'autel de l'existence, chercher la compensation, et reconnaître la sagesse du monde malgré toute la douleur qu'elle doit provoquer, afin d'atteindre des buts plus élevés. C'est le précieux viatique que peut nous apporter la science de l'esprit pour toute l'existence humaine. De ce point de vue, il nous est donc permis de répéter - tournant les regards vers les événements douloureux de notre temps - et aimerais-je dire, puisant aux sentiments que peut nous donner la science de l'esprit, ce que nous avons dit souvent ici :
Du courage des combattants, Du sang des batailles,
De la souffrance de ceux qui ont perdus des êtres chers,
Des sacrifices du peuple,
Naîtra un fruit d'esprit.
Que les âmes, en conscience de l'esprit,
tournent leur attention vers le royaume des esprits.
[1] Voir les conférences faites à Berlin au cours de la première année de la première guerre mondiale. « Destin des hommes et destin des peuples » - GA157
[2] Pour comprendre pleinement ce dont il s’agit, lire l’extrait de conférence publié sous le titre : « La vie du sommeil serait beaucoup plus active que la vie… de veille ?! ». Exprimé par nous (ndlr) de manière très lapidaire, Rudolf Steiner entend ici par « section 1 », le contemplation de la vie passée entre 2 et 4 jours après le décès et par « section 2 », les expériences réalisées ensuite par le défunt dans le monde de l’âme (désigné par kamaloca après la survenance de la mort) pendant une période équivalent environ à un tiers de la vie vécue sur terre.
[3] Voir L’éducation de l’enfant à la lumière de la science de l’esprit, Éditions Triades en édition séparée et in GA34 « Luzifer-Gnosis - Articles fondamentaux ».
[4] Ndlr : Rudolf Steiner s’exprime ici encore au-devant d’un public familiarisé avec les concepts de base. Précisons à ce sujet que le caractère des septaines n’est évidemment pas déterminant au jour près ni aussi fixé et rigide que ne le prétendent certains auteurs au sujet de l’œuvre de Rudolf Steiner. « (…) l’affirmation d’Ullrich selon laquelle Steiner postule, dans sa théorie du développement, un « rythme inflexible d’à chaque fois sept ans », est une construction. Car d’une part, les indications de temps sont plutôt des approximations que des points fixes, d’autre part, le cours normal du développement est brisé par des « à-coups » du contre-courant de l’individualisation ». Albert Schmelzer, dans "Pratique remarquable — théorie douteuse ? Au sujet de l’ouvrage d’Ullrich «Pédagogie Waldorf. Une introduction critique»"
[Caractères gras, italiques et soulignés S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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