Extrait du dixième chapitre du livre « La Philosophie de la Liberté »
Rudolf Steiner – GA004
Traduit depuis l'allemand par Germaine Claretie
(Aux Presses universitaires de France - Édition de 1923)
La Philosophie de la Liberté est traduite en français en de multiples éditions, dont notamment :
- Éditions anthroposophiques romandes et Fishbascher, traduction de Georges Ducommun.
- Éditions Novalis, traduction de Geneviève Bideau, Édition dite du Centenaire, Montesson, 1993, (ISBN 2-91011204-7)
- Éditions Branche Paul de Tarse, traduction de Frédéric C. Kozlik.(1986) édition comparée de(1894/1918) et introduction.
- Éditions PUF/Éditions Alice Sauerwein, traduction de Germaine Claretie (1923)
- Éditions TheBookEdition.com, (en autoédition), traduction de Thomas Letouzé (2022).
NDLR : Dans cet extrait, Rudolf Steiner récapitule une des observations et pensées parmi les plus essentielles qui sont ensuite à la base de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique. Toutefois, comme cet extrait est issu du chapitre IX de "La Philosophie de la Liberté", lui-même intitulé "L'idée de Liberté", il va de soi que l'étude des chapitres précédents est nécessaire pour être en en capacité de fonder pleinement ces observations et concepts. La publication de cet extrait peut dès lors être comprise comme une invitation à étudier l'ensemble du livre, qui constitue le principal "pilier" sur lequel s'appuie toute l'anthroposophie. |
Le concept d’arbre est conditionné, pour la connaissance, par la perception d’un arbre. Vis-à-vis de cette perception, je ne puis choisir, dans mon système général de concepts, qu’un seul concept bien défini. Le rapport du concept à la perception est déterminé, immédiatement et objectivement, par la pensée. Ce rapport n’est connu qu’après l’acte de perception, mais il est contenu dans la chose même.
Lorsqu’il s’agit de la connaissance, et du rapport qu’elle établit entre l’homme et le monde, tout se passe différemment. Nous avons essayé de montrer dans les précédents chapitres que ce rapport s’éclaire lorsque la simple observation s’y applique de bonne foi. Cette observation nous fournit la certitude que la pensée est en soi une entité complète, qui peut-être directement connue par l’homme. Ce serait méconnaître les résultats de cette observation que de supposer, au-dessous de la pensée, la nécessité d’un substratum quelconque, tel que les phénomènes physiques du cerveau, ou encore des processus spirituels inconscients. L’homme qui observe la pensée vit directement, à l’instant où il l’observe, au sein d’une essence spirituelle qui subsiste par elle-même. On peut aller plus loin et dire que, pour saisir l’esprit dans la forme sous laquelle il commence à se faire connaître aux hommes, on ne peut que prendre conscience de l’essence immuable, et fondée en elle-même, qu’est la pensée.
Dans l’observation de la pensée, les deux termes dont l’apparition était jusqu’alors forcément séparée (concept et perception) se trouvent réunis en un seul. Tant que l’on méconnaît cette vérité, on pourra imaginer que les concepts sont les reflets inconsistants des perceptions, et les perceptions sembleront être la seule réalité. C’est alors qu’on se met à construire des univers métaphysiques calqués sur le monde de ses propres perceptions : monde des atomes, de la volonté, de l’esprit... chacun les voit à sa manière. Mais dès que l’on a saisi ce que la pensée offre de tout différent, on comprend que la perception est la moitié seulement de la réalité, et que l’autre moitié (la pénétration de la perception par la pensée, processus vécu par l’homme) lui est indispensable pour constituer une réalité totale.
L’essence qui se manifeste dans notre conscience sous la forme de pensée n’apparaît plus alors comme un reflet fugace des choses, mais comme une réalité spirituelle reposant absolument sur elle-même. Et, de cette réalité, l’on peut dire qu’elle se fait connaître à l’homme par une intuition. L’intuition consiste à vivre consciemment dans un monde purement spirituel. C’est seulement par un acte intuitif que l’essence de la pensée peut être saisie.
Et c’est seulement lorsqu’on a connu cette essence, par un tel acte intuitif, que l’on peut commencer à juger de l’organisation physique et psychique de l’homme. On aperçoit alors que cette organisation ne saurait rien changer à l’essence de la pensée. Cette assertion semble d’abord en contradiction avec les faits les plus certains. Évidemment, pour l’expérience ordinaire, la pensée humaine n’apparaît qu’au sein de l’organisme et à travers lui. Le mode de cette apparition s’impose si puissamment au regard, qu’on perd de vue l’indépendance réelle et complète de la pensée ; mais rien de l’organisme ne peut agir sur elle. Il existe entre l’organisme et elle un rapport tout à fait spécial que l’on peut définir comme suit : L’organisme n’a aucune influence sur elle, mais il s’efface, pour ainsi dire, lorsqu’elle entre en activité. Il inhibe en quelque sorte sa propre activité, il laisse la place libre pour que la pensée y apparaisse. La force de la pensée fait reculer celle de l’organisme et agit à sa place. On voit, d’après cela, que l’organisme de l’homme forme, en un certain sens, un pendant avec la pensée ; cette notion est de toute importance pour bien comprendre ses rapports avec elle, et le rôle qu’il joue dans sa genèse. Lorsqu’on marche sur un sol amolli, les pieds y impriment leur trace. Nul ne dira que ces traces sont causées par les forces du sol, de bas en haut. On n’attribuera aux forces du sol aucun rôle actif dans le phénomène. De même, lorsqu’on a observé de bonne foi ce qu’est la pensée, on n’est aucunement tenté de la croire conditionnée ou causée par les traces qu’elle imprime dans l’organisation humaine en préparant son apparition à travers cette dernière[1].
Rudolf Steiner
[1] L’auteur, dans les ouvrages qui ont suivi ce livre a montré à différents points de vue comment cette assertion se trouve confirmée par les données de la Psychologie, de la Physiologie, etc.. Ici, il n’a exposé que les résultats d’une observation impartiale de la pensée elle-même.
Note de la rédaction
Un extrait isolé issu d'une conférence, d'un article ou d'un livre de Rudolf Steiner ne peut que donner un aperçu très incomplet des apports de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique sur une question donnée.
De nombreux liens et points de vue requièrent encore des éclairages, soit par l'étude de toute la conférence, voire par celle de tout un cycle de conférence (ou livre) et souvent même par l'étude de plusieurs ouvrages pour se faire une image suffisamment complète !
En outre, il est important pour des débutants de commencer par le début, notamment par les ouvrages de base, pour éviter les risques de confusion dans les représentations.
Le présent extrait n'est dès lors communiqué qu'à titre indicatif et constitue une invitation à approfondir le sujet.
Le titre de cet extrait a été ajouté par la rédaction du site www.soi-esprit.infoÀ NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens !
Merci de prendre connaissance d'une IMPORTANTE mise au point ici.
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