Lorsqu’une personne dit « moi » ou « je », elle fait souvent référence à cet être qui se présente avec telle ou telle apparence physique, voix, âge, sexe, couleur de cheveux, d’yeux et de peau, etc. qu’elle pense être « elle-même ». Toutes ces caractéristiques qui viennent à son esprit sont liées à son corps physique.
Or après la mort, le noyau spirituel de l’être humain subsiste, mais pas son corps physique qui disparaît ! Le sentiment de soi-même, né de l’identification au corps physique n’a pas lieu d’être, mais n’en subsiste pas moins pendant tout un temps après la mort. De ce fait, l’âme du défunt se sent comme « creusée », vidée. Un sentiment comme de s’être perdue elle-même, la saisit. La mort produit donc en l’être humain l’effet d’un vide immense et celui-ci doit, après celle-ci, se désaccoutumer de maintes habitudes et tendances, liées au fait d’avoir un corps physique.
Il est à noter que le fait d’être dépossédé de son corps physique a aussi pour effet le sentiment d’être libéré d’un élément « pesant » pour l’âme humaine. Ce sentiment de libération peut aller jusqu’à l’euphorie dans certaines situations. À ce sentiment vient s’ajouter pour le défunt, du fait du vide créé par l’absence du corps physique, un état de conscience nouveau qui en prend la place : il éprouve, jaillissant du centre de son propre être, une force vivificatrice auto-créatrice qui emplit l’espace environnant.
L’effet de vide éprouvé après la mort est plus ou moins intense selon la situation d’une personne avant celle-ci. Ainsi, nombre de personnes qui meurent après une longue maladie, sont-elles déjà partiellement déshabituées de cette identification de leur être à leur corps. Lorsqu’elles franchissent le seuil de la mort, elles éprouvent moins intensément cet effet de vide, de privation du corps physique. Il en va en règle générale plus ou moins ainsi de toutes les personnes qui meurent de mort naturelle, car même en cas de mort naturelle subite (crise cardiaque, apoplexie, etc.), il y a eu depuis longtemps (à un niveau tout à fait inconscient) une préparation à la séparation entre les « constituants spirituels supérieurs » de l’être humain d’une part, et son corps physique, d’autre part. Ces constituants sont déjà moins intimement liés au corps physique.
« Lors d’une séparation subite et violente du corps physique [accident, mort sur un champ de bataille, etc.], comme dans le cas du suicide, où tout est encore sain et intimement lié, il se produit immédiatement après la mort un fort sentiment de privation du corps physique, ce qui occasionne de grandes souffrances. (…) L’être humain se sent comme évidé. Commence alors une recherche désespérée d’un corps physique si soudainement arraché. » [1]. [C’est nous qui avons ajouté le texte entre les crochets]
« Lors d’une mort violente qui n’a pas été voulue par la personne, cette séparation se fait tout de même de manière moins douloureuse, que dans le cas d’un suicide » [2].
Il est à remarquer que si, « dans le cas de la mort naturelle, la décrépitude du corps va de pair avec une extinction partielle des sentiments qui s’attachent à lui. Chez les suicidés, les désirs et envies inassouvis qui les ont poussés à mettre fin à leurs jours ajoutent encore au tourment provoqué par ce sentiment de vide brutal ». [3]
Le caractère de la douleur éprouvée par le suicidé n’a rien d’une « punition » mais découle de la constitution psycho-spirituelle de tout être humain et de lois qui y sont inhérentes. Dans le monde physique existent de même des lois qui affectent l’état psychique de l’être humain sans être des « punitions » : un choc mécanique violent sur le corps humain provoquera nécessairement certaines conséquences (lésions, déformations, contusions, fractures…) plus ou moins douloureuses.
Avec les quelques concepts esquissés ci-dessus, nous pouvons commencer à comprendre que l’état d’âme d’un défunt suicidé est déterminé par un contexte d’ensemble qui peut être très variable d’une situation de suicide à l’autre et dont d’ailleurs seuls quelques facteurs déterminants ont été mentionnés ici : par exemple, le type de liens existants entre les constituants suprasensibles de l’être humain et son corps physique au moment de se donner la mort, ainsi que ses intentions ou son état psychique avant celle-ci, etc.
La compréhension de ces faits peut toutefois déjà conduire à l’attitude suivante : plutôt qu’une condamnation des personnes suicidées et leur exclusion des funérailles religieuses, ainsi que pratiqué dans certaines confessions religieuses, c’est au contraire d’une attention accrue, y compris dans la prière, le culte et les célébrations religieuses, qu’auraient tout particulièrement besoin nos défunts suicidés, tout comme leurs proches qui leurs survivent dans un état d’affliction singulier.
Notes
[1] Rudolf Steiner cité par Maria von Nagy (2009) : Rudolf Steiner à propos du suicide ; Éditions Triades ; Respectivement p. 38
[2] Ibid., p.39
[3] Rudolf Steiner : La théosophie, GA9, Novalis, 2007, p. 111-112
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