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Citation
  • "(...) le mort ne peut faire l'expérience de son entourage spirituel que dans la mesure où il a déjà acquis sur le monde spirituel les pensées qu'un homme peut former sur la terre. Voyez-vous, bien des gens disent de nos jours : qu'avons-nous besoin de nous soucier de la vie après la mort ? Nous pouvons bien attendre d'être morts, et nous verrons bien ce qui se passe. - C'est là une idée tout à fait fausse. On ne voit rien du tout après la mort si l'on ne s'est formé pendant la vie aucune idée du monde spirituel, si on a vécu en matérialiste."
    Christiana (Oslo), 17 mai 1923 - GA226

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Le navire de guerre La France

Manœuvres de diversion et politique mondiale
Illustrées par l'alliance franco-russe de 1894/1914

(Un article issu de la série « 1914-2014 : Mensonges, faits et perspective »)

Thomas Meyer
Publié dans Der Europäer
Année 18 - N°2/3 - Décembre/Janvier 2013-14
Traduction : Richard Schnepp

La Russie est courtisée politiquement et spirituellement

Le 16 juillet 1914, le cuirassé La France a pris la mer depuis Dunkerque en direction de Saint-Pétersbourg. Le président français Raymond Poincaré et son chef de gouvernement René Viviani se trouvaient à bord. C'était deux semaines après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand et presque deux semaines avant l'expiration de l'ultimatum lancé le 23 juillet par l'Autriche à la Serbie. La date du voyage, les principaux passagers et le choix du moyen de transport montrent qu'il s'agissait d'une importante action d'État de la France.

La Russie devait absolument être assurée de la fidélité de l'alliance française pour toutes les situations, donc incluant une participation russe à la guerre. Cette alliance existait depuis 1894 ; la situation d’urgence menaçait maintenant de se produire.

En France, dès les années 90 du XIXe siècle, un intérêt très marqué pour une participation de la Russie à une éventuelle guerre mondiale fut développé, pour ne pas dire attisé systématiquement. L'impulsion principale est venue à l'origine de ces cercles occidentaux qui ont conçu « l’expérience socialiste » en Russie afin d'éliminer l'Europe centrale sur le plan économique et politique. Pour mettre cela en place, on se servit entre autres du sentiment de revanche en France qui ne cessait de grandir depuis la guerre de 1870/71, et ce par le biais d'organisations occultes et politiques telles que le Grand Orient de France, dont Poincaré faisait également partie, ou l'Ordre Martiniste. Ce dernier avait été réformé par le douteux mais influent occultiste Gérard Encausse, plus connu sous le nom de « Papus », un germanophobe par excellence.

En 1905, année de la révolution, Papus organisa à la cour du Tsar une séance de spiritisme au cours de laquelle on fit apparaître Alexandre, le défunt père du Tsar, qui insuffla au fils courage et persévérance.

À la cour du Tsar, ouverte à l'occultisme, Papus avait un adversaire, Raspoutine. Ce personnage incontestablement complexe agissait dans une direction diamétralement opposée, il essayait – en vain – de tenir Nicolas II à l'écart de la guerre, sachant qu'elle entraînerait d'immenses malheurs pour la Russie. Papus est mort en octobre 1916, Raspoutine a été assassiné en décembre de la même année. La voie vers l'abolition du tsarisme et l'installation de l'expérience socialiste en 1917 était en grande partie « aplanie ».

Dans le contexte des relations franco-russes, et notamment des éléments occultes évoqués, la visite d'Etat de Poincaré à la veille du déclenchement de la guerre revêtit une importance décisive.

À gauche : Le Tsar Nicolas II - À droite : Raymond Poincaré

Comment la peur de la guerre s'est transformée en enthousiasme pour celle-ci

L’expédition de Poincaré vers Saint-Pétersbourg a croisé dans la mer Baltique un navire qui n'était pas un navire de guerre et qui ne transportait pas de chefs d'État. Il transportait Rudolf Steiner et un petit groupe de compagnons de voyage de Suède en Allemagne. Steiner avait donné à Norrköping, aux membres, les conférences « Le Christ et l'âme humaine » (GA155) et se trouvait avec ses amis sur le chemin du retour vers Hambourg.

Ludwig Polzer-Hoditz, qui l’avait accompagné dans le Nord avec sa femme, raconte dans ses mémoires sur Rudolf Steiner : « Alors que nous étions [le 16 juillet 1914] en train d’effectuer la traversée de la Suède vers l'Allemagne, nous rencontrâmes un navire de guerre français dont nous apprîmes que s’y trouvait Poincaré, qui se rendait à Saint-Pétersbourg ».[1]

Pendant les deux semaines qui suivirent l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand jusqu'à la visite de Poincaré en Russie, régnait dans toute l'Europe, à l'exception de quelques bellicistes présents dans tous les pays, la peur de la guerre. Cette peur était très concrètement liée à l'assassinat de l'héritier du trône et à son destin post-mortem. Rudolf Steiner avait fait une découverte très étonnante à ce sujet. Le 30 septembre (GA174b) et le 31 octobre 1914 (GA157), Steiner fit part pour la première fois à des auditeurs anthroposophes du résultat de son enquête occulte, qui le surprit lui-même.

archiduc francois ferdinand.11

L’Archiduc François Ferdinand

Le 19 janvier 1915 (GA157), il aborda à nouveau ce sujet : « Nous savons bien », dit-il, « ce que l'âme vit lorsqu'elle est passée par la mort. Dans le cas de cette âme qui est alors passée par la mort [François-Ferdinand], il s'est avéré tout particulièrement que tous les éléments de peur commençaient à se regrouper autour d'elle, comme autour d'un centre, et on avait maintenant devant soi quelque chose comme une puissance cosmique ». Et plus loin : « Nous savons maintenant que quelque chose qui a un caractère bien déterminé sur le plan physique a le caractère inverse dans le monde spirituel. C'est ce qui s'est passé dans ce cas : ce qui avait d'abord un effet de dissipation de la guerre a maintenant un effet inverse, a pour ainsi dire un effet stimulant, incitatif ». 

Sur le plan physique, cette peur occulte-astrale a donc d'abord agi contre la guerre, a empêché toutes les nations d’entrer en guerre. Mais cela a changé, en raison de cette loi mentionnée de l'inversion entre le physique et le spirituel. En effet, le passage de la peur dans le monde spirituel à son contraire dans le monde physique s'est produit à une date très précise, en quelque sorte brusquement. Le 30 septembre 1914, Rudolf Steiner avait déjà précisé à Stuttgart (GA174b) : "C'est le 20 juillet [1914] que j'ai su que les forces de peur étaient maintenant devenues des forces de courage, de témérité (...) Cet enthousiasme qui se manifestait alors comme un phénomène si unique sur le plan physique n’était alors plus inexplicable. C'est un fait qui était unique pour moi et qui, pour autant que je le sache, n'était connu d'aucun occultiste auparavant ».

 

Le rôle déclencheur de la guerre de la visite d'État française

poincare a son arrivee en russie

Raymond Poincaré à son arrivée en Russie

Le 20 juillet ? C'était le jour de l'arrivée de Poincaré à Saint-Pétersbourg ! La visite d'Etat devait durer trois jours et s'accompagner d'un faste militaire et politique considérable. « L'immense cuirassé qui nous amène le chef de l'Etat français », écrit avec emphase Maurice Paléologue, l'ambassadeur français à Saint-Pétersbourg, « justifie pleinement son nom, c'est bien la France qui vient à la rencontre de la Russie. Je sens mon cœur battre plus fort ».[2]

L'ultimatum à la Serbie n'avait pas encore été lancé, mais Poincaré voulait d'emblée en rejeter ou en discréditer le contenu. Et il fit remarquer à l'ambassadeur austro-hongrois Friedrich Szapary à Saint-Pétersbourg, en guise d'avertissement, que « la Serbie avait des partisans très chaleureux dans le peuple russe ». « Et la Russie a un allié : la France ». Poincaré ou ses interlocuteurs russes ne semblaient pas se soucier, note Christopher Clark, « des mesures que l'Autriche-Hongrie pourrait effectivement prendre de plein droit à la suite des assassinats [du couple archiducal à Sarajevo] ».

Le deuxième jour de la visite d'État, lors d'une soirée à l'ambassade, se déclare une ambiance de guerre ouverte, sans précédent à l'époque dans toute l'Europe. Poincaré tenta de convaincre le ministre russe des Affaires étrangères Sassonov, qui semblait indécis, d'accepter la guerre.

« Nous devons », dit-il à Paléologue, « mettre en garde Sassonow contre les sinistres projets de l'Autriche, l'encourager à tenir bon et lui promettre notre soutien ». Pendant ce temps, dans une pièce voisine, un colonel de la suite de Poincaré portait un toast devant des invités : « à la prochaine guerre et à la victoire certaine ». Anastasia, une fille du roi du Monténégro, s'est lancée dans des hymnes prophétiques avec sa sœur Militza : « La guerre va éclater », a crié Anastasia, « il ne restera plus rien de l'Autriche (...) ils reprendront l'Alsace et la Lorraine. Nos armées se réuniront à Berlin. L'Allemagne sera anéantie ».

Le dernier jour de la visite d'Etat, il y eut un défilé militaire de 70.000 hommes, avec de la musique militaire, principalement les marches Sambre et Meuse et Marche Lorraine.

Au moment de prendre congé, Poincaré exhorta le Tsar : « Cette fois, nous devons rester fermes ».

L'enthousiasme pour la guerre qui avait été attisé à Saint-Pétersbourg s'étendit bientôt à la France, à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie.

La Russie avait reçu, par la visite du 20 juillet et des jours suivants, une carte blanche pour toute forme de participation à la guerre. Quelques jours après la visite d'Etat française, l'empire tsariste, qui n'était en aucun cas directement menacé, lança une mobilisation partielle puis, peu après, une mobilisation générale qui menaçait également des territoires allemands. Le 31 juillet 1914, le chef d'état-major allemand Helmuth von Moltke devait encore demander l'annulation de cette mobilisation. En vain.

En dehors de la date précise du 20 juillet relative au retournement de forces occultes, évoqué plus haut et qui est d’une importance capitale, Steiner s’abstint de révéler des événements concrets en rapport avec ce retournement. En tant qu'Autrichien vivant dans une Suisse neutre pendant la guerre, il ne pouvait pas se permettre de faire des commentaires trop directs dans ce domaine. Cependant, quiconque prend le temps de s’imprégner des faits brièvement décrits ici, ne pourra pas rester dans l’incertitude par rapport à ce que Steiner avait à l’esprit lorsqu'il considérait le 20 juillet comme la date butoir pour le retournement si important des forces de peur en forces de courage : la visite d'Etat de Poincaré, dont il avait aperçu le cuirassé le 16 juillet lors de la traversée de la Suède vers l'Allemagne, avait eu comme effet une frénésie pour la guerre. Steiner observa simultanément avec son œil spirituel et son œil physique. La transformation spirituelle des forces de peur en forces de courage se manifesta lors des événements fatidiques de Saint-Pétersbourg. La flamme de l'enthousiasme belliqueux qui embrasa bientôt toute l'Europe avait été allumée à Saint-Pétersbourg. L’investigation spirituelle de Steiner peut ainsi mettre en lumière un point très marquant de la « crise de juillet » qui, sans cette investigation, resterait ignoré ou incompréhensible.

 

Comment la Russie est tombée dans un piège avec l'alliance française

Après avoir évoqué l'impact fatal de l'alliance franco-russe, jetons un coup d'œil sur sa genèse. Elle n'est pas moins remarquable. Elle est en effet le résultat d'une mystification qui n'a pas encore été entièrement démasquée. Ici aussi, les principales indications, généralement ignorées jusqu'à aujourd'hui, proviennent de Rudolf Steiner. Il les avait clairement exprimées dans le contexte de l'affaire Dreyfus en mars 1898, dans son article « Le serment de Zola et la vérité sur Dreyfus ».* Comme on le sait, cet officier juif alsacien avait été accusé à l'automne 1894 d'avoir livré des secrets militaires à l'Allemagne. Pour cela, il fut exilé pendant de nombreuses années sur l'île du Diable, avant d'être gracié en 1899 et entièrement réhabilité en 1906.

Suite au non-renouvellement en 1890 du traité de réassurance germano-russe conclu par Bismarck en 1887, la Russie se retrouva un temps sans alliance avec d’autres puissances en Europe. En Allemagne, cela a amené une situation pouvant amener une éventuelle guerre sur deux fronts, qui devait être prise en compte par le plan Schlieffen.

La France s'est alors engouffrée dans la brèche ouverte entre l'Allemagne et la Russie, d'abord avec un accord militaire secret en 1892, puis avec l'alliance officielle franco-russe, qui est entrée en vigueur en janvier 1894. Cette alliance ne s'est toutefois pas faite sans difficulté. Le gouvernement français a certes fourni à la Russie les informations demandées sur l'armée française. Mais en Russie, on se méfiait des informations françaises. Or Steiner révèle « comment s'est prononcée une personnalité occupant un poste important, qui doit connaître cette vérité [sur l'arrière-plan de l'affaire] et qui n'est en aucun cas partie prenante dans cette affaire ».

 

Rudolf Steiner sur le véritable arrière-plan de l'affaire Dreyfus

Steiner commence en disant : « Je veux simplement raconter quelle est la vérité ». Et il continue : « On cherchait [en Russie] une deuxième source pour se faire une idée de la situation militaire de la France. Les dirigeants français ont alors utilisé Esterhazy. C'est à lui que furent livrées les informations nécessaires aux Russes. Il les a transmises à la Russie. Là-bas, on voulait que les données officielles soient confirmées par un traître. Les lettres en question étaient signées « Capitaine Dreyfus ». Il s'agirait d'une vingtaine de lettres. On accusa Dreyfus parce que son écriture était similaire à celle d'Esterhazy.

Pour que l'affaire soit parfaitement convaincante, il fallait fournir aux Russes une preuve factice que c'était bien un traître qui leur avait transmis les messages les plus importants. Esterhazy avait reçu l'assurance que son rôle ne serait jamais mentionné. Pour donner à ses renseignements le poids nécessaire, il fallait que l'indignation au regard de la trahison soit rendue publique, et dans ce but, on sacrifia Alfred Dreyfus ».

Dreyfus n'a d'ailleurs jamais été accusé de trahison de secrets militaires à l'égard de la Russie. Ainsi, après la dénonciation et l'arrestation de Dreyfus, on pouvait d'autant plus, dans les cercles russes,  tranquillement se bercer de la conviction d'avoir appris la vérité sur la force de l'armée française par un véritable traître [ayant livré des secrets à l'Allemagne].

La réelle trahison commise envers la Russie devait être soigneusement gardée secrète. On ne peut imaginer ce qui se serait passé si le gouvernement russe avait appris comment il avait été trompé par les « dirigeants français » à la faveur de cette alliance ! Si, par exemple, pendant la visite d'État de Poincaré, des preuves de cette vérité avaient été mises à leur disposition...

Même le perspicace et noble défenseur de Dreyfus, Georges-Marie Picquart, n'a pas perçu le véritable arrière-plan de l'affaire.

Steiner conclut son bref récit par la phrase suivante à propos de Dreyfus : « C’est au prix de sa vie que la foi de la Russie en la France a été achetée ». À l’origine de l'alliance franco-russe se trouvait un gigantesque mensonge.

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À gauche : Georges-Marie Picquart - À droite : Rudolf Steiner


Malheureusement, Rudolf Steiner n'a pas révélé l’identité de son informateur. Celui-ci aurait sans aucun doute été compromis ou lésé de manière durable par les « dirigeants de l'État français ». Mais Steiner n'était pas un fantaisiste. Il devait en quelque sorte brûler de faire éclater cette vérité sur Dreyfus, qu'il avait toujours considéré comme innocent, ainsi que sur l'ensemble de l'affaire.

Les lettres écrites par Esterhazy sous le nom de « Dreyfus » pourraient encore se trouver dans les archives russes. Il s'agirait là d'une recherche historique importante, qui n'a pas encore été entreprise à ma connaissance, près de cent ans après la visite d'Etat de Poincaré visant à consolider l'alliance franco-russe, construite sur une totale tromperie.

Thomas Meyer

Notes

[1] Ludwig Polzer-Hoditz, Souvenirs de Rudolf Steiner, Dornach 1985

[2] Cette citation et les suivantes sont tirées du livre de Christopher Clark, Les somnambules. Été 1914 : comment l'Europe a marché vers la guerre

 

 

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