Extrait du reccueil de conférences « Les entités spirituelles dans les corps célestes et dans les règnes de la nature »
Helsingfors (Helsinki), 5 avril 1912 - 3ème conférence
Rudolf Steiner – GA136
Éditions anthroposophiques romandes (1973) - Traducteur inconnu (version ancienne)
(…) Quiconque se soumet à un développement occulte doit tout d’abord s’astreindre à une discipline intérieure qui s’efforce de maîtriser la vie intérieure de la conscience normale ordinaire. Ce que nous ressentons intérieurement peut être désigné comme notre sentiment égoïste ; pour ainsi dire, ce que nous ne désirons du monde que pour nous-mêmes. Plus l’élève occultiste apprendra à se distancer de son sentiment égoïste, de ses préférences personnelles, et plus il sera proche du seuil des mondes supérieurs.
Prenons un exemple simple : Nous savons tous que, par le jeu de nos dispositions personnelles, certaines vérités, certaines choses dans le monde nous plaisent ou nous déplaisent personnellement, que telle ou telle chose nous semble sympathiqueou antipathique. Pour développer nos facultés occultes, nous devons tout d'abord déraciner de notre cœur les sentiments que nous nourrissons arbitrairement envers le monde. D'une certaine façon, nous devons nous affranchir de toutes nos préférences personnelles. C'est une vérité que l'on proclame souvent mais qu'il est, en fait, plus difficile de mettre en pratique qu'on ne le croit généralement. En effet, dans la conscience ordinaire, l'être humain a très peu de points d'appui pour se libérer de lui-même, étouffer ses préférences personnelles.
Réfléchissez un moment à tout ce que cela implique «de se libérer de soi-même». Il n'est peut-être pas si difficile de se libérer de ce qu'on appelle ordinairement les émotions, les tendances égoïstes ; mais nous devons bien nous dire que dans notre incarnation actuelle nous sommes nés à un moment déterminé et à un endroit déterminé ; que si nous posons le regard sur ce qui nous entoure, nous ne voyons pas la même chose qu'une personne qui vit à un autre point de la terre. Celle-ci doit être intéressée par les choses entièrement différentes qui l'environnent. Déjà, par le fait que nous sommes des personnes physiquement incarnées, nées à un moment et à un endroit déterminés, nous nous trouvons au milieu de toutes sortes de choses qui attirent notre attention, éveillent notre intérêt, qui nous concernent particulièrement ; tandis que, quelqu'un d'autre sera attiré par autre chose. Étant tous différents et éparpillés sur notre planète, nous sommes plus ou moins obligés, par la force des choses, d'avoir chacun nos intérêts particuliers,ainsi que notre patrie particulière sur la terre. Ce que nous pouvons apprendre de notre environnement immédiat ne suffira donc jamais à nous montrer d'une façon probante ce qui pourrait nous libérer de nos intérêts humains particuliers, de ce qui nous attire particulièrement. Puisque nous sommes incarnés dans un corps physique, nous ne pouvons donc pas nous servir de notre perception extérieure pour atteindre la porte qui nous conduirait vers un monde spirituel. Nous devons faire abstraction de tout ce que nos sens peuvent percevoir extérieurement, de tout ce que notre intelligence peut combiner des choses du monde extérieur, car tout cela se rapporte à nos intérêts personnels.
Cependant, si nous considérons ce que nous abritons habituellement dans notre être intérieur : nos peines, nos joies, nos afflictions, nos soucis, nos espérances, nos buts, nous nous apercevons bien vite que ce monde intérieur dépend de ce que nous voyons à l'extérieur ; qu'il est coloré d'une certaine façon par ce que nous éprouvons dans le monde extérieur. Pourtant il y a là une certaine différence.
Nous devons assurément avouer dès l'abord que chacun de nous porte son propre monde dans son être intérieur. A vrai dire, ce monde intérieur est coloré d'une certaine manière du fait qu'une personne est née à un certain point de la terre à un certain moment, une autre à un autre endroit, à un autre moment.
Nous découvrons encore autre chose au sujet de ce monde intérieur. Sans doute c'est notre monde intérieur particulier, il est plus ou moins différent chez chacun de nous, il a sacouleur propre ; mais nous découvrons encore autre chose. Supposez que nous soyons allés de l'endroit auquel nos sens sont habitués, à un autre endroit très éloigné, et que là nous rencontrions une personne dont la vie et les perceptions ont été tout à fait différentes des nôtres ; nous pouvons néanmoins nous entendre avec elle. Nous le pouvons parce qu'elle a éprouvé des peines semblables àcelles que nous avons éprouvées nous-mêmes,parce qu'elle peut se réjouir des mêmes choses qui nous réjouissent. En effet, qui n'a pas éprouvé de la difficulté à s'entendre avec une personne rencontrée dans un endroit éloigné, au sujet de leurs mondes extérieurs respectifs, tout en pouvant très bien s'entendre avec elle au sujet de ce que le cœur ressent et désire ? Nous sommes bien plus proches les uns des autres par notre monde intérieur que par notre monde extérieur. Sans contredit, on ne pourrait guère espérer répandre l'idée de la science de l'esprit dans l'humanité si on ne pouvait avoir la certitude que quelque chose, apte à nous comprendre, vit dans l'être intérieur de chaque être humain, où qu'il se trouve sur la terre.
Néanmoins, pour arriver à nous libérer de notre égoïsme intérieur particulier, nous devons effacer cette coloration de notre vie intérieure qui est encore influencée par le monde extérieur. Pour y arriver, nous devons nous rendre capables d'éprouver, dans notre être intérieur, quelque chose qui ne vient pas du monde extérieur ; quelque chose qu'on pourrait appeler des suggestions, des inspirations intérieures, ce quelque chose qui ne peut croître et prospérer que dans l'âme humaine.
A partir de sa vie intérieure particulière, l'être humain peut s'élever jusqu'à sentir, se manifester dans son être intérieur, quelque chose qui est indépendant de son existence égoïste particulière. C'est ce que sentent les personnes qui proclament qu'il peut y avoir sur la terre entière une compréhension de certains idéaux, de morale et de logique. Ceux dont on ne peut pas douter, car ils sont clairs à chacun, parce que ce sont des messages du monde intérieur de l'être humain, et non du mondeextérieur.
Ce genre de manifestations intérieures dans un domaine qui, à vrai dire, est très aride et, sans aucun doute, commun à tous les hommes, c'est celui qui traite des nombres et de leurs combinaisons, donc les mathématiques, l'art de compter et de calculer. Ce ne sera jamais le monde extérieur qui pourra nous apprendre que trois fois trois font neuf, c'est notre être intime qui doit nous le révéler. On ne peut donc le contester nulle part sur le globe terrestre. On peut bien discuter de par le globe terrestre si telle ou telle chose est belle ou laide ; mais, une fois que notre être intérieur a la révélation que trois fois trois font neuf, ou que le tout est la somme de ses parties, ou que la somme des angles d'un triangle vaut 180 degrés, nous le savons réellement. Car cela pouvait seulement nous être révélé par notre être intérieur, et non pas par le monde extérieur. Ce que nous appelons l'inspiration commence donc par les mathématiques, si arides soient-elles. Seulement, en général les gens ne remarquent pas que l'inspiration commence par ces arides mathématiques. La plupart des gens les trouvent terriblement ennuyeuses et ne les laissent pas volontiers leur révéler quelque chose.
Mais au fond il en va de même des vérités morales, quant à la révélation intérieure. Si nous voyons que quelque chose est juste, nous nous disons que c'est juste, que le contraire est injuste, et qu'aucune puissance au monde sur le plan physique ne pourra nous convaincre de l'injustice de ce qui se révèle comme juste à notre être intérieur. Même les vérités morales les plus élevées se révèlent par l'être intérieur. On peut s'éduquer, lorsqu'on dirige son regard spirituel avec sentiment et sensibilité sur ce genre de révélation intérieure. Même les simples mathématiques sont une excellente formation. Que l'être humain pose la question de savoir si une certaine nourriture est agréable, l'un aura une opinion et l'autre en aura une autre. Cela, c'est du domaine du libre arbitre de chacun. Au contraire, les mathématiques et les obligations morales ne sont pas du domaine du libre arbitre. Nous savons qu'elles nous révèlent quelque chose que nous devons reconnaître comme vrai, à moins d'être indignes de la condition humaine.
Cette perception intérieure d'une révélation, semblable à la perception intérieure d'un sentiment et ressentie telle une impulsion profonde, est une force pédagogique puissante pour l'être intérieur de quiconque s'y abandonne par la méditation. Il peut se dire d'abord : «Mon libre arbitre peut décider de beaucoup de choses dans ce monde sensible ; par contre, l'esprit me révèle beaucoup de choses qui le concernent, dont je dois me rendre digne, mais qui ne sont pas du domaine de mon librearbitre». En laissant ces pensées s'imposer de plus en plus, l'être humain peut être dominé par son être intime et s'élever au-dessus du pur égoïsme. Alors ce que nous appelons son Moi supérieur, qui se sait un avec l'Esprit de l'Univers, maîtrise le Moi arbitraire ordinaire.
C'est un état d'âme de ce genre que nous devons développer en nous pour atteindre la porte qui s'ouvre sur le monde spirituel. Si nous entretenons fréquemment une telle disposition, elle se montrera féconde. Elle le sera notamment si nous l'amenons aussi positivement que possible dans la pensée.
A ce sujet, il est utile de cultiver des pensées qui sont évidemment vraies bien qu'en contradiction avec le monde sensible extérieur. Au début, ces pensées peuvent n'être que des images, mais ces imagessont très utiles pour la formation occulte.
Voici un exemple d'image qui pourra servir à montrer comment on peut élever son âme au-dessus de soi-même. Prenons deux verres dont l'un contient de l'eau ; l'autre est vide. Supposons que vous observiez ces deux verres dans le monde extérieur ; le verre contenant de l'eau n'étant qu'à moitié plein. Si vous versez un peu d'eau de celui-ci dans le verre vide, ce dernier sera partiellement rempli et l'autre contiendra moins d'eau. Si vous versez encore une fois de l'eau du verre qui était à moitié plein dans celui qui était vide, il en contiendra encore moins. Bref, à chaque transvasement, le verre qui était d'abord à moitié plein contiendrade moins en moins d'eau. Cette manière de se représenter les choses est véridique par rapport au monde physique, sensible, extérieur.
Maintenant formons-nous une autre image.Imaginez-vous que vous tentiez de renverser le procédé. Vous vous représentez que vous versez de l'eau du verre à moitié plein dans le verre vide, celui-ci reçoit donc de l'eau. Mais représentez-vous aussi que la quantité d'eau augmente dans le verre dont vous en avez déversé ; lorsque vous déversez de l'eau une deuxième fois de ce verre dans celui qui était vide, celui qui était à moitié plein en contiendra encore plus. Chaque fois que vous déversez de l'eau de ce verre il en contient plus. Imaginez-vous cela. Naturellement, à notre époque, quiconque se vante de son bon sens dira ce que vous représentez là est un non-sens : verser de l'eau d'un verre qui se remplit au fur et à mesure qu'on en déverse.
Évidemment, c'est absurde si on se le représente dans le monde physique, mais cela s'applique remarquablement bien au monde spirituel ; l'application en est assez singulière. Pensons à une personne qui a bon cœur. Son cœur affectueux lui fait faire une action charitable envers une personne qui a besoin d'affection. Elle donne ainsi quelque chose à cette autre personne mais ne perd rien pour cela. Au contraire, en faisant une bonne action pour l'autre personne, elle s'enrichit. Si elle fait une bonne action une deuxième fois, elle s'enrichit encore, reçoit encore plus. Quand on fait une bonne action, on ne s'appauvrit pas, on ne s'épuise pas. Au contraire, on s'enrichit, on se fortifie soi-même, par ce qu'on déverse dans quelqu'un d'autre.
Appliquons notre image, qui est impossible, insensée dans le monde physique ordinaire, à ce témoignage d'affection. Là elle prend un sens,nous pouvons la comprendre comme une allégorie, comme un symbole d'actes spirituels. L'amour est une chose si compliquée que personne ne devrait être assez présomptueux pour essayer de le définir, d'en pénétrer l'essence. L'affection est compliquée ; on l'éprouve bien, mais elle ne se laisse pas enfermer dans une définition. Par contre, l'un des aspects de la façon dont l'amour se manifeste est très bien représenté par un symbole, un simple symbole, un verre d'eau qui se remplit tandis qu'on le vide.
Au fond, quand nous nous représentons ainsi la complexité des actes d'amour, nous faisons la même chose que le mathématicien avec sa science aride. Il n'y a nulle part un vrai cercle, un vrai triangle. Nous sommes obligés de nous les imaginer. Si nous dessinons un cercle et l'examinons au microscope, nous ne voyons que des points de craie ou d'autre matière. Un cercle dessiné n'est jamais aussi régulier qu'un cercle réel. Nous devons avoirrecours à notre imagination, a notre vie intérieure,quand nous voulons nous représenter une figure telle qu'un cercle ou un triangle. De même, si nous voulons nous représenter un acte spirituel, l'affection par exemple, nous devons aussi avoir recours à une image et nous tenir à un aspect particulier.
Ces images sont utiles pour la formation occulte. Nous voyons qu'elles nous élèvent au-dessus du niveau des représentations habituelles. Mais nous voyons aussi que pour nous élever vers l'esprit, nous devons nous former des idées diamétralement opposées à celles qui ont cours dans le monde sensible. Nous voyons donc que la conception d'idées symboliques de ce genre est un moyen puissant de s'élever dans le monde spirituel. Vous trouverez cela développé dans mon livre «L'initiation». Nous parvenons ainsi à prendre connaissance de ce qui est un monde au-dessus du nôtre, monde qui nous inspire, que nous ne pouvons percevoir dans le monde extérieur mais qui le pénètre. En nous vouant de plus en plus à ce monde d'idées, nous arrivons à reconnaître qu'en chaque être humain existe une essence spirituelle plus noble que lui-même, qui est prisonnière de cette incarnation et de son égoïsme (…).
[Caractères gras et italiques S.L.]
Rudolf Steiner
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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