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Huitième conférence du livre
« Bases de la Pédagogie - Cours aux éducateurs et enseignants »,
Rudolf Steiner - Dornach, le 30 décembre 1921
Éditions Anthroposophiques Romandes 1988, GA303
Traduction : Geneviève Bideau
NDLR : le titre de la présente conférence a été donné par la rédaction de Soi-esprit.info. Celle-ci ne comporte pas de titre dans l'ouvrage originel. |
Je voudrais faire la remarque suivante : par le cheminement que nous avons suivi dans nos considérations, je me vois contraint à m'écarter aujourd'hui quelque peu du déroulement prévu au programme et à vous parler tout d'abord de l'organisation plutôt extérieure de l'École Waldorf. Des considérations auxquelles nous nous sommes livrés ici vous aurez en effet retiré la conclusion que l'idée de l'École Waldorf est telle, qu'au sens le plus strict du terme le plan scolaire, les objectifs d'éducation et en général toute l'organisation de l'école découlent pour ainsi dire des forces physiques, psychiques et spirituelles qui apparaissent en l'être humain au cours de sa vie. Ceci a nécessité une organisation tout à fait particulière de l'École Waldorf et cette organisation s'écarte en bien des points de ce à quoi l'on est habitué aujourd'hui.
Il importe tout d'abord d'enseigner et d'éduquer dans un sens que j'aimerais appeler économe des forces de l'âme. Aujourd'hui, on morcelle très fortement l'enseignement dans le système d'enseignement et d'éducation habituel et pour cette raison il n'agit pas de façon assez concentrée sur l'enfant en cours de croissance. Voici ce dont il s'agit. Supposez que l'on veuille traiter à l'école avec l'enfant un sujet qui doit constituer pour cet enfant un acquis qui lui restera pour toute la vie. Je vais prendre un exemple qui se trouve aussi dans le programme scolaire habituel, en l'occurrence dans le domaine historique. Supposons que l'on veuille traiter avec les enfants l'époque de la reine Elisabeth avec tout ce qui en fait partie et que l'on apprend aux enfants en rapport avec cette époque. Vous reconnaitrez qu'on peut le faire en parlant durant six mois pendant les cours d'histoire des particularités de cette période élisabéthaine. Mais on peut aussi procéder autrement. Voici comment on peut faire : on acquiert tout d'abord en tant que professeur, au cours d'une préparation méthodique, un sentiment nuancé des faits qui entrent en ligne de compte pour cette période. Certains de ces faits pèsent d'un certain poids : si on les connaît, si on les laisse agir sur son âme, ils s'impriment facilement dans l'âme et les autres faits viennent tout naturellement se grouper autour. Et on peut dans certains cas, lorsqu'on domine vraiment à fond son sujet en tant que professeur au moment où on vient le traiter à l'école, transmettre aux enfants en trois ou quatre heures — ceci n'est pas exagéré — non seulement ce qu'on leur transmet sinon en six mois, mais on peut même le transmettre beaucoup mieux, si bien que les enfants en gardent une impression durable pour toute leur vie.
Quiconque a jamais acquis une vue d'ensemble de tout ce que nos enfants doivent apprendre admettra sans difficulté ce que je viens d'indiquer. Car ce que les enfants doivent avoir déjà appris au cours de leur quatorzième année dans les conditions actuelles de la civilisation, c'est quelque chose qui, tel qu'on l'a habituellement sous la forme d'une accumulation de connaissances, n'est de toutes façons pas réalisé. Ce n'est réalisé nulle part, mais on fait comme si cela l'était et surtout les plans scolaires et les objectifs d'enseignement sont établis comme si on pouvait et devait le réaliser.
Il s'agit que, dans le sens de l'idée de l'École Waldorf, tout l'enseignement soit organisé de façon à ce que, avec les moyens les plus simples, autant de choses que possible soient apportées aux enfants dans le temps le plus court possible afin que l'enfant ne perde jamais la vue d'ensemble intérieure de l'âme, je n'entends pas ici la vue d'ensemble conceptuelle, mais la vue d'ensemble qu'il éprouve intérieurement en son âme.
Vous comprenez bien que ceci pose précisément aux professeurs des exigences particulières. Et j'ai par exemple, à partir de ce que j'appelle l'enseignement économe des forces de l'âme, acquis la conviction que j'aimerais formuler de façon claire et nette — elle n'est peut-être pas toujours réalisée de façon aussi claire et nette — mais que j'aimerais exprimer de cette façon claire et nette : si l'on veut transmettre en une demi-heure à l'enfant une matière quelconque de la façon économique qui est juste sans que l'enfant en subisse un dommage, on a besoin en tant que professeur d'une préparation d'au moins deux ou trois heures pour faire de tout cela un ensemble organique doué d'une vie intérieure avec lequel on franchit la porte de l'école et on vient dans la classe. Un tel principe d'éducation exige donc beaucoup des professeurs, cela est certain. Mais c'est la chose elle-même qui pose ces grandes exigences et il faut tout simplement, autant que faire se peut, qu'elles soient satisfaites.
Mais ceci exige que l'on organise et répartisse de façon toute particulière l'enseignement et l'éducation lorsqu'on veut faire passer dans la réalité cette idée fondamentale de la pédagogie et de la didactique, lorsque se présente à vous une tâche telle que d'organiser l'École Waldorf de Stuttgart. Je voudrais maintenant vous décrire dans ses grandes lignes cette organisation, sans justifier déjà pour aujourd'hui les détails —, ce sera précisément le sujet des considérations qui suivront immédiatement —, mais je voudrais tout d'abord pour aujourd'hui vous donner pour ainsi dire un aperçu d'ensemble de la façon dont les choses se passent en réalité à l'École Waldorf.
Le professeur pénètre donc le matin dans Je bâtiment de l'école, après s'être bien préparé de la façon qui a été indiquée. Les enfants arrivent, un peu plus tôt en été, vers huit heures, un peu plus tard en hiver et, après qu'ils se sont rassemblés dans les classes, chaque professeur, homme ou femme, commence dans sa classe, afin de les concentrer, par un texte rythmé se rattachant autant que possible à un contenu universellement humain ou encore religieux qui est récité en chœur par toute la classe, soit sous forme de paroles, soit sous forme de chant, mais qui a en même temps le caractère d'une sorte de prière. On peut ensuite le faire suivre d'une prière véritable : dans notre École libre Waldorf, les détails sont toujours entièrement laissés au choix de l'individualité des différents professeurs.
Alors commence ce que l'on appelle enseignement principal, cet enseignement principal qui est découpé dans l'enseignement traditionnel en de nombreuses parties différentes. Ce principe d'économie des forces de l'âme sur lequel j'ai attiré l'attention rend nécessaire, lorsqu'on le pense jusqu'au bout, de se détourner radicalement de ce que l'on appelle habituellement emploi du temps. Pour l'enseignement principal nous n'avons pas d'emploi du temps au sens habituel, mais, pendant quatre à six semaines, selon ce que tel ou tel sujet demande pour être mené à bien, l'enfant reçoit dans sa classe un enseignement dans les deux premières heures de la matinée, entre lesquelles peut être placée — et même doit être placée pour les enfants plus petits — une récréation. Donc on traite pendant quatre à six semaines un sujet de géographie ou de calcul. A la fin de ces quatre à six semaines, on commence un autre sujet auquel on consacre le temps qui lui convient mais qui n'est pas constamment interrompu par quelque chose d'autre qui est prévu par l'emploi du temps.
Ainsi est apporté à l'enfant, sous forme de périodes, pendant toute l'année d'une façon économe des forces de l'âme ce que le plan scolaire doit contenir d'après les principes correspondant à son âge si bien qu'on ne pose pas de trop grandes exigences dans le sens que l'enfant ait à un moment quelconque le sentiment qu'il a de la peine à suivre. Il ne doit jamais éprouver ce sentiment. Dans sa nature intérieure, l'enseignement doit être organisé de telle façon que l'enfant n'ait jamais le sentiment qu'il rencontre des difficultés à progresser, mais il doit toujours aspirer à passer effectivement d'un aspect à l'autre. Et par là l'enfant n'est au fond jamais tenté de considérer un sujet comme interrompu, mais on peut partout le rattacher à quelque chose.
Il va par ailleurs de soi que, lorsque la fin de l'année scolaire approche, avant les vacances, on présente de nouveau, en une sorte de récapitulation, à l'âme de l'enfant tout ce qui a été enseigné comme on dit à l'enfant dans les différentes périodes pendant l'année — on peut le faire en reliant harmonieusement les matières.
Donc tout ce qui est enseignement principal proprement dit fait partie de cette catégorie. Et on veille toujours à transmettre à l'enfant pendant ces quatre à six semaines quelque chose qui fasse un tout et qui, précisément parce que c'est un tout, lui donne quelque chose qu'il emporte alors dans la vie sous la forme où il doit emporter les choses dans la vie.
Réfléchissez donc à ceci : si nous voulons prendre soin comme il convient des membres des enfants, nous éviterons de leur mettre des vêtements qui pourraient les gêner dans leur croissance. Nous voulons prendre soin de la corporéité extérieure de l'enfant de telle sorte que l'être humain puisse se développer en toute liberté jusqu'à l'âge le plus avancé selon les principes de croissance qui sont en lui. Il faut en faire autant pour tout ce qui appartient à la sphère de l'âme et de l'esprit. Si nous donnons à l'enfant des représentations achevées, aux contours nets, elles ne peuvent pas grandir en même temps que le champ de la vie humaine s'accroît. Les représentations, les sentiments, les impulsions volontaires que nous lui donnons pour le chemin de sa vie doivent être traités comme les membres de l'être humain. Ils ne doivent pas être habillés de définitions abstraites rigides que l'on retient ensuite dans sa mémoire, si bien que l'on a encore à quarante-cinq ans le même concept d'une chose que celui que l'on en a reçu dans sa huitième année — tout aussi peu que l'on aurait encore à quarante-cinq ans le petit doigt constitué comme il l'était lorsqu'on avait huit ans ! Il s'agit d'édifier l'organisme de l'enfant, même au plan de l'âme, d'une façon telle que ses différents membres puissent vraiment grandir, il s'agit de ne pas lui apprendre des choses tellement rigides et fixes que l'on pense et éprouve encore dans sa quarante-cinquième année sur un sujet de la même façon qu'on a pensé et éprouvé dans sa huitième ou sa neuvième année. Mais ceci n'est possible que si nous enseignons les choses à l'enfant de la manière économe des forces de l'âme qui a été indiquée.
Le reste de la matinée est consacrée à des matières plus libres. — Certes, c'est pour moi une horreur que d'employer ce terme de « matière », mais il est tout simplement devenu usuel. — Et là, ce sont avant tout les langues vivantes étrangères qui jouent le plus grand rôle. Ces langues vivantes étrangères sont pratiquées dès l'entrée des enfants à l'école, lorsqu'ils sont dans leur sixième, septième année, parce qu'elles doivent devenir de façon réellement pratique partie intégrante de la vie de l'enfant, et on les pratique de façon que l'enfant entre vraiment dans la vie de la langue étrangère et qu'on évite donc de passer par la langue maternelle pour apprendre la langue étrangère.
Naturellement, comme on a maintenant devant soi des enfants un peu plus âgés que lorsqu'ils ont appris la langue maternelle, l'enseignement dans une autre langue doit être organisé de façon un peu différente. Il doit en être ainsi précisément lorsqu'on tient compte des âges de la vie. Mais les enfants doivent se lier à la langue au point qu'ils ne soient pas toujours en train de traduire en cachette lorsqu'ils expriment quelque chose dans la langue étrangère.
Il faut complètement éviter ce principe de la traduction. Si on doit donc apprendre à l'enfant un mot ou une série de mots, disons, dans le cas le plus simple : table, fenêtre, ce mot « table » ne doit pas être mis en relation avec le mot de la langue maternelle, mais avec la table réelle ou le mot « fenêtre » avec la fenêtre réelle. La langue étrangère est enseignée par le rapport direct avec la chose, avec les objets, si bien que l'enfant apprend tout d'abord à parler, puis à traduire, si tant est que la traduction s'avère d'une quelconque façon souhaitable dans tel ou tel cas.
On peut tout à fait remarquer qu'en évitant la grammaire et autres choses enseignées habituellement, on arrive là à quelque chose que les enfants reçoivent dans un esprit tout à fait vivant. — Les différents aspects feront l'objet des considérations des jours prochains lorsque nous parlerons des différents âges. Pour l'instant, je veux plutôt donner une vue d'ensemble des dispositions extérieures.
C'est à ce moment que se place également une matière qui doit être considérée comme particulièrement importante : les travaux manuels ; et, en partie, ce que l'on appelle habituellement les travaux en atelier. Conformément au principe de l'École Waldorf qui, on le sait, réunit dans une même classe filles et garçons, les travaux manuels sont enseignés de la même manière pour les filles et les garçons. Et c'est une grande joie que de voir, dans le cours de travaux manuels, garçons et filles tricoter, crocheter ou se livrer à d'autres travaux manuels ensemble. On peut, à partir de la pratique scolaire, donner absolument l'assurance que, bien que le garçon retire du tricot un peu autre chose que la fille, le garçon en retire cependant beaucoup de profit et qu'avant toutes choses il le fait avec grande joie. Le fait que les enfants travaillent ensemble est tout particulièrement fructueux pour l'évolution d'ensemble d'un être humain, comme cela s'est montré jusqu'ici — je reviendrai aussi sur ce sujet plus en détail. Dans les travaux d'atelier, ce sont cette fois les filles qui doivent faire exactement la même chose que les garçons, des travaux assez durs où on a en vue l'habileté, le développement de l'adresse de l'être humain.
Ensuite se place encore dans ces heures de la fin de la matinée ce que l'on peut appeler un enseignement lié à une conception du monde. Voyez-vous, l'École Waldorf, et du reste toute école qui serait issue du mouvement anthroposophique, ne tient absolument pas à enseigner par exemple l'anthroposophie aux enfants sous la forme où elle existe actuellement. Elle considère même cela comme l'idée la plus aberrante que l'on puisse avoir. Car c'est tout d'abord avec des adultes, parfois même avec des êtres humains déjà bien grisonnants que l'on a à parler d'anthroposophie telle qu'elle se présente aujourd'hui. Aussi a-t-elle une configuration telle, aussi bien dans l'œuvre écrite que dans la façon où elle se présente aux êtres humains, qu'elle a la forme qui convient lorsqu'on parle à des adultes et qu'on s'adresse précisément à des adultes. II me faudrait donc considérer cela comme une idée des plus aberrantes que de vouloir inculquer d'une façon ou d'une autre à l'enfant ce qui se trouve dans ma « Théosophie »[1] ou dans mon livre « Comment acquiert-on des connaissances des mondes supérieurs ? » Cela ne peut jamais être le cas, car, en lui enseignant quelque chose qui n'est absolument pas approprié à son âge, on ferait — pardonnez-moi cette expression un peu triviale — grimper l'enfant aux murs, comme on dit chez nous. C'est ce qu'il ne peut bien sûr pas faire, mais il y a en lui le désir de grimper aux murs.
Il ne s'agit donc pas d'introduire dans l'école en tant que telle ce qui est aujourd'hui un contenu anthroposophique, mais il s'agit de ce que l'anthroposophie n'est pas, on le sait, une théorie, n'est pas une conception du monde théorique consistant en des idées seulement, mais un système de vie qui s'adresse à l'être humain tout entier. Lorsque le maître, anthroposophe, arrive à l'école, il a acquis une certaine habileté et il manie un art pédagogique et didactique et c'est cet art pédagogique et didactique qui importe.
L'École Waldorf doit donc être une école qui travaille selon une méthode et cette méthode doit être tirée de la conception anthroposophique du monde. Les choses sont ainsi, lorsqu'on fait sienne une telle conception du monde qui est une pratique de la vie, qu'on ne devient pas par là un théoricien qui se détourne du monde mais un homme plein d'adresse. Certes, je n'affirmerai pas que tous ceux qui font partie du mouvement anthroposophique remplissent les conditions idéales à cet égard. Ce n'est pas le cas. Je connais dans le mouvement anthroposophique encore bien des messieurs qui ne sont pas en mesure — pardonnez-moi l'expression un peu rude —, lorsqu'un bouton de leur pantalon tombe, de le recoudre eux-mêmes dans toutes les règles de l'art. On n'est évidemment pas un homme complet lorsqu'on ne sait pas faire cela. Et avant tout, il manque encore bien souvent l'état d'esprit qui pourrait s'exprimer ainsi : on ne peut pas être un philosophe si l'on n'est pas en mesure, lorsque cela est nécessaire, de réparer aussi soi-même ses bottes. — Ceci est évidemment exprimé de façon un peu extrême, mais vous comprendrez ce que cela veut dire.
Celui qui veut poser une affirmation théorique quelconque doit être en plein dans la vie, beaucoup plus que celui qui est par exemple tailleur ou cordonnier ou ingénieur ou autre chose semblable. J'aimerais dire ceci : on ne peut pardonner à quelqu'un de dire quelque chose de théorique que si la personne concernée est également douée de sens pratique dans la vie. Sinon, tout ce qui s'exprime en idées devient vite quelque chose qui n'a au fond plus grand'chose à faire avec la vie. Par le fait que les professeurs introduisent de cette façon la pratique de vie anthroposophique dans l'école, ils doivent, en artistes, devenir aptes à trouver toujours ce qui est juste, les mesures qui précisément doivent être prises selon la façon dont l'enfant se manifeste. Et c'est alors l'instinct qui dans chaque cas précis agit le mieux lorsqu'on introduit à l'école tout le style d'un artiste en éducation et en enseignement. Cela n'est au fond dans une très large mesure pas réalisé dans la vie extérieure.
Je vous en prie, ne considérez pas ce que je viens de dire comme des paroles visant à attaquer quiconque. Celui qui débute de nos jours à l'école doit bien ressentir lui-même de la façon la plus cruelle ce que je dis : parce qu'il ne peut pas faire autrement, il doit plutôt se considérer comme une victime de son époque. Il ne peut pas faire autrement, ne serait-ce que pour cette simple raison qu'il a connu le martyre du lycée et de l'université. Mais, dans la pratique de l'enseignement, il importe que l'on puisse faire à chaque instant quelque chose d'autre selon ce que l'enfant vous indique qu'il faut faire. Mais est-ce qu'on éduque ainsi dans le vaste monde ? Dans le vaste monde, on éduque en sachant à l'avance : il faut faire ceci, il faut apprendre cela à l'enfant. Cela me donne souvent l'impression que l'enfant, quand on se place à ce point de vue éducatif, n'a au fond absolument pas besoin d'être présent dans ce qui est fait là. Avec les principes d'éducation actuels, on pourrait très bien faire faire des copies des enfants en carton-pâte lorsqu'ils entrent à l'école, et on a à prendre à l'égard de ces copies exactement les mêmes mesures déterminées à l'avance que celles qu'on prend actuellement au cas par cas avec les enfants réels.
Nous ne voulons donc certainement pas créer une école pour répandre une conception du monde, comme on pourrait facilement le penser lorsqu'on entend dire à l'extérieur : les anthroposophes ont fondé une école ; mais il s'agit de faire pénétrer l'anthroposophie dans la pratique de la pédagogie.
C'est pourquoi il m'a été relativement indifférent d'abandonner purement et simplement ce qu'il y a de plus élevé en matière de conception du monde, la conception religieuse du monde, aux divers représentants des confessions religieuses traditionnelles. Et ainsi l'enseignement religieux catholique a été tout simplement confié au prêtre catholique, l'enseignement protestant au pasteur protestant. Nous n'avions aucune crainte que les dommages qu'ils pouvaient causer ne puissent être réparés par autre chose. Mais l'affaire se présenta en l'occurrence de la façon que, lorsque notre ami Émile Molt fonda à Stuttgart l'École Waldorf, le gros des enfants était d'abord des fils de prolétaires de son usine. C'étaient en grande partie des enfants de familles qui ne faisaient partie d'aucune Église, des enfants qui, s'ils étaient allés à une autre école, n'auraient justement pris part à aucun enseignement religieux, qui auraient grandi sans religion. Pour ces enfants, le besoin se fit jour, tant chez les enfants eux-mêmes à la façon dont cela peut apparaître chez des enfants, que chez les parents des enfants, d'avoir tout de même quelque chose de ce genre et nous dûmes alors instituer pour ces enfants notre enseignement religieux libre. De même que l'enseignement protestant est dispensé par le pasteur protestant, l'enseignement catholique par un prêtre catholique, il est donc dispensé par nos professeurs qui se considèrent alors, par rapport au plan scolaire, comme des professeurs de religion autorisés. Ainsi est dispensé un enseignement religieux anthroposophique. Et nous avons réussi à ce que cet enseignement religieux anthroposophique libre constitue quelque chose d'extrêmement prometteur précisément pour les enfants d'ouvriers, mais aujourd'hui aussi pour beaucoup d'autres enfants.
Et là intervient une difficulté particulière : car l'anthroposophie que nous avons est faite pour des adultes et le professeur, lorsqu'il dispense son enseignement religieux anthroposophique, est de nos jours obligé de chercher à grand'peine comment il peut trouver des contenus pour ce qu'il veut traiter avec les enfants. La conception du monde anthroposophique doit tout d'abord être coulée dans une forme où elle puisse être présentée à l'enfant. Et nous travaillons de bien des façons à cette adaptation, à une conception du monde moderne et tenant compte de l'esprit humain pour l'enfant. Et il est effectivement nécessaire d'apprécier en profondeur comment par exemple des symboles que l'on doit employer agissent sur l'enfant et comment des impondérables entrent en ligne de compte. C'est ce dont nous allons parler tout de suite.
Vous comprendrez qu'une école telle que l'École Waldorf, même si elle doit suivre en général le principe de faire découler le plan scolaire, les objectifs scolaires de ce qui existe comme connaissance de l'être humain, ne peut cependant pas être instituée dans le sens d'un idéal. Il faut faire les compromis les plus divers, car il est vraiment impossible d'élever et d'éduquer aujourd'hui un enfant absolument comme on pourrait enseigner d'après un idéal abstrait, par exemple d'après l'idée de l'École Waldorf. Il se trouverait placé dans la vie d'une façon telle qu'il ne s'adapterait tout simplement pas à la vie. Il est relativement facile de critiquer de la façon la plus variée la vie de notre époque actuelle. Bien des choses peuvent ne pas vous y plaire et on peut se complaire en critiques toutes plus pertinentes et plus spirituelles les unes que les autres sur tout ce qui devrait être autrement. Mais on ne peut pas éduquer des êtres humains qui, lorsqu'ils quittent l'école et entrent dans la vie, n'ont de sens que pour critiquer ce qui dans la vie n'a pas de sens. Aussi imparfaite que puisse paraître la vie à une critique intellectuelle abstraite, il faut être dans la vie. Il faut certes laisser partir les élèves Waldorf dans la vie — sinon l'École Waldorf n'aurait pas de sens —, en ayant tenu compte de ce qui fait d'eux des êtres humains plus que ce n'est le cas sinon à notre époque actuelle, mais il ne faut pas en faire des êtres étrangers à la vie de leur époque au point qu'ils se posent seulement en criticaillons étrangers à la vie. Voilà ce que je veux dire. Et c'est pourquoi il a fallu dès le début faire les compromis les plus divers, même en ce qui concerne le plan scolaire et les objectifs d'enseignement. On n'a pu tenter que ce qui était possible. J'ai pour cette raison rédigé dès la fondation un memorandum[2] qui fut ensuite présenté aux autorités scolaires et qui disait à peu près ceci : depuis l'entrée de l'enfant à l'école, de la sixième ou septième année jusqu'à la fin de sa neuvième année, donc jusqu'à la fin de la troisième année d'école environ, l'enseignement que reçoit l'enfant en rapport avec les différents âges est déterminé de façon aussi libre que possible par ce que l'on juge être juste. La répartition de la matière d'enseignement, la fixation des objectifs scolaires sont laissés à la libre appréciation du maître ou plutôt du collège des professeurs qui est institué et agit tout à fait en tant que représentant de l'école. On accorde du reste une grande importance à ce que non seulement chaque professeur connaisse ses enfants, mais à ce que puissent s'instaurer entre le collège des professeurs et les enfants des liens divers qui débordent aussi sur les moments où il n'y a pas cours et que tels ou tels enfants aillent également demander conseil au professeur qui leur convient, etc. C'est une véritable joie que de venir à l'École Waldorf et de voir combien les élèves se sentent en confiance avec leurs professeurs dans les intercours et même lorsqu'il n'y a pas cours.
Donc, pendant cette période qui s'écoule à partir de la sixième, septième année jusqu'à la neuvième, dixième année, l'enseignement est dispensé selon les principes. Mais on s'efforce en même temps de faire en sorte que chaque enfant en soit à la fin de la troisième classe au point de pouvoir aussi entrer en quatrième classe d'une autre école. Si bien que l'enfant n'est pas mis en dehors de la vie, mais qu'on lui donne quelque chose qu'il a en plus des autres sans que toutefois cela l'empêche de trouver le contact avec la vie telle qu'elle est par ailleurs.
On veille également à ce que, dès neuf ans révolus, de la troisième classe, jusqu'à la douzième année, la fin de la sixième classe, l'enseignement respecte très strictement le principe que l'enfant soit de nouveau en mesure, à la fin de la douzième année, de pouvoir entrer dans une autre école, à peu près en septième classe et de pouvoir bien suivre. Il a fallu faire un compromis, parce que nous ne voulons pas être des fanatiques, mais que nous voulons être des hommes tenant compte de la pratique face aux aspirations de l'École Waldorf. Et lorsqu'arrive à quatorze ans la fin de l'école primaire, l'enfant doit pouvoir entrer dans les classes correspondantes du lycée classique ou moderne etc., dans toutes ces belles institutions qui existent, si bien qu'on tient réellement compte de ce que je viens d'indiquer.
Or nous nous efforçons de poursuivre l'édification de l'École Waldorf — après avoir tout d'abord fondé une école primaire complète où se trouvent des enfants jusqu'à la quatorzième année révolue, nous ajoutons chaque année une nouvelle classe — jusqu'à ce que nous parvenions au point où parviennent les jeunes gens lorsqu'ils ont achevé le lycée classique ou moderne et veulent donc entrer à l'université ou dans une école supérieure.
Il nous faut là organiser l'ensemble de l'éducation et de l'enseignement de façon à ce que les jeunes gens puissent passer ce qu'on appelle Maturité en Autriche, Abitur en Allemagne[3]. Dans d'autres pays, toutes ces belles choses portent encore d'autres noms. Mais en tout cas les enfants doivent être menés assez loin pour pouvoir ensuite entrer dans une université. Nous n'avons pas encore la possibilité de fonder nos propres universités, car tout ce que nous faisons dans cette direction a partout un caractère absolument privé. Aucun État en effet ne nous autoriserait à délivrer dans les universités que nous fonderions des diplômes valables pour des examens qui n'auraient pas eu lieu ; car nous n'organiserions naturellement pas d'examens.
Nous sommes donc bien contraints d'aménager le plan scolaire réel de l'École Waldorf en faisant des compromis et il n'est absolument pas question de nier ce fait. Mais ce dont il s'agit, c'est qu'on introduise dans ce cadre tout ce qu'il est possible de l'esprit que j'ai caractérisé plus haut. Lorsque nous avons fondé l'École Waldorf, étant donné que nous l'avons tout de suite fondée comme une école ayant toutes les classes, nous avons naturellement reçu des enfants qui provenaient de toutes les classes possibles. Et nous avons eu abondamment l'occasion de voir sur nos élèves Waldorf les fruits de cette discipline si sévère dans ces écoles. Nous avons maintenant derrière nous l'expérience d'un peu plus de deux ans de discipline Waldorf. Je parlerai également des détails de la discipline Waldorf. Nous avons fait l'expérience de la discipline Waldorf, qui consiste en majeure partie en ce que nous avons aboli la discipline et nous pouvons faire état par exemple de quelque chose comme ce que je voudrais citer ici à titre de symptôme.
Il y a seulement quelques semaines, nous devions poser la pierre de fondation d'un bâtiment d'une certaine importance — car jusqu'alors nous étions dans des locaux provisoires. Cette pose de la pierre de fondation rendait, à mon sentiment, la présence de tous les enfants, nécessaire. Or, il en va ainsi dans la vie, tout dure plus longtemps qu'on ne l'a prévu et ainsi tous les enfants étaient déjà là au moment où nous commencions tout juste à faire les premiers préparatifs pour la pose de cette pierre de fondation. Il fallait d'abord que je me réunisse avec le Collège des professeurs et quelques autres personnes. Or tous les enfants étaient déjà là. Nous devions nous réunir dans ce qu'on appelle la salle de réunions, la salle des professeurs. Que faire des enfants ? L'administrateur de l'école dit tout simplement : mettons les enfants dans leurs classes. Ils en sont maintenant au point où nous pouvons tranquillement les laisser dans les classes, ils vont bien se tenir sages et s'occuper sans nous gêner.
Ainsi, par rapport à la discipline très problématique qui avait précédé la nôtre, nous en étions arrivés, dans notre façon de supprimer la discipline, au point que nous pouvions laisser les enfants dans les classes sans qu'ils nous dérangent le moins du monde. Naturellement, il faut prendre cela sans être trop pointilleux : cela dérangerait peut-être tout de même des oreilles nerveuses, mais cela ne fait rien. Des enfants qui ne dérangent pas des oreilles nerveuses n'ont pas, en règle générale, une très bonne discipline. Il apparaît du reste que par l'action impondérable d'une telle façon de tenir l'école, bien des choses évoluent qui sont certes bien évidemment présentes, mais sont aussi prises en mains dans la pratique de l'éducation.
Il paraît — peut-être l'avez-vous entendu dire — qu'on pratique habituellement dans les écoles diverses sortes de punitions. Il a naturellement fallu expérimenter au début un peu au hasard pour trouver la façon juste de procéder. Et ainsi un des professeurs a pu, un jour où on en était venu à discuter de ce sujet, donner cette bien jolie information que je vais vous rapporter. Il a tout d'abord voulu essayer l'effet que font des punitions d'un type particulier sur les enfants ; il s'agissait justement, à une époque où les enfants avaient déjà connu un certain temps la discipline des Écoles Waldorf, d'une classe comprenant des garnements tout à fait terribles. Ces garnements — c'est ainsi qu'on peut appeler des propres-à-rien tout à fait caractérisés — avaient donc fait quelque chose de travers et devaient être punis, un peu d'après le modèle en usage dans d'autres écoles. Ils devaient être en retenue, comme on dit, rester après le cours et faire des opérations pendant ce temps. Et lorsque cette punition eut été infligée à quelques élèves de la classe, voilà que tous les autres vinrent aussi, disant qu'ils voulaient rester aussi faire des opérations, car le calcul était quelque chose de si formidable.
Vous voyez que le concept de punition avait subi là une totale métamorphose. Il était devenu quelque chose de, tout autre, que toute la classe convoitait vraiment. Ce sont réellement des choses que l'on n'obtient pas si on les recherche intentionnellement, pourrait-on dire, de façon directe, mais elles se donnent comme une conséquence lorsque le reste est lui-même cultivé de façon juste. Je sais que dans la vie extérieure on pourrait absolument nourrir des inquiétudes sur bien des aspects de la discipline.
J'ai ainsi été une fois en mesure d'observer de manière extrêmement nette le rôle très important que joue le contact naturel qui s'établit entre le maître et l'élève par les diverses dispositions de caractère des élèves et des maîtres ou éducateurs. On peut le dire en effet : à la façon dont le maître franchit le matin le portail de l'école, pénétré de tout l'esprit de la pratique scolaire, selon que les enfants éprouvent à son égard des sentiments de sympathie ou d'antipathie, c'est tout cela qui fait que les enfants profitent ou non de l'enseignement. Et on peut même se poser la question de savoir lequel est le plus utile : un maître négligent, qui n'a pas le moindre principe d'éducation juste ou un maître qui veut appliquer d'excellents principes pédagogiques et didactiques terriblement justes, mais abstraits et ne débouchant pas sur la pratique de la vie. De tels principes, il y en a aujourd'hui plus qu'il n'en faut. Ce n'est pas par dérision que je dis qu'ils sont pleins d'esprit, on peut même discuter d'un tel qualificatif, mais quand entre dans la classe un maître négligent, indolent, qui répand cependant par tout son être de l'amour sur sa classe, les enfants ne deviendront certes peut-être pas particulièrement raisonnables, mais ils emportent dans la vie un acquis plus utile que lorsqu'un professeur qui suscite par tout son être de l'antipathie entre dans la classe avec d'excellents principes d'éducation et veut enseigner son affaire aux enfants. On peut alors constater qu'à cause précisément de ces excellents principes d'éducation, lorsque la vie du maître suscite l'antipathie, les enfants en retirent pour toute la vie ultérieure ce que l'on appelle aujourd'hui une terrible nervosité.
Toutes ces choses peuvent et doivent être discutées lorsqu'on prend au sérieux l'art de l'enseignement et de l'éducation. Et c'est pourquoi je me suis trouvé un jour en présence d'un cas particulier qui sera naturellement jugé par plus d'un comme quelque chose d'abominable. Un jour où je me trouvais justement à l'école, on me raconta qu'on n'arrivait absolument pas à ramener à la raison un garçon d'une classe, qu'il avait fait toutes sortes de mauvais coups et que les professeurs de la classe ne savaient pas qu'en faire. Je fis venir ce garçon et voulus voir ce qui se passait au juste avec ce garçon. Vous reconnaîtrez que dans beaucoup d'écoles on infligerait pour un cas de ce genre une sérieuse correction ou peut-être une punition un peu moins rude ou quelque chose de ce genre. Eh bien, j'examinai ce garçon avec soin et le résultat de mon examen fut que je le fis monter de la classe où il était dans la classe au-dessus : telle fut sa punition. Eh bien, depuis je n'ai entendu personne se plaindre. Son professeur confirme qu'il est même maintenant un garçon modèle. Il semble bien que tout soit maintenant en ordre et c'est bien ce qui importe au fond.
Vous voyez, l'essentiel est d'avoir une vue juste de l'intériorité de l'enfant et de la nature enfantine. On ne pouvait absolument pas établir le contact entre ce garçon et son professeur de classe et comme l'intelligence de ce garçon permettait qu'on le mette dans la classe supérieure, qu'il n'existait pas de classe parallèle, il fallait prendre cette mesure-là. Le mettre dans la classe inférieure lui aurait causé un tort radical.
Si donc on considère en toutes ces choses le bien et le développement de l'être humain, cela donne la pratique juste de l'enseignement et de l'éducation. Et c'est pourquoi il faut toujours présenter les faits particuliers à titre, aimerais-je dire, de symptôme. L'École Waldorf, nous ne voulons absolument pas le nier, repose tout à fait sur des compromis dans bien des domaines ; mais on y éduque et on y enseigne dans le sens d'une véritable connaissance de l'être humain autant qu'il est possible de nos jours.
Ainsi la matinée est occupée de la façon que je viens de vous indiquer et il faut y insérer bien des matières, par exemple aussi l'enseignement des langues anciennes pour la raison qui découle également du fait que nous devons amener les élèves, filles et garçons, jusqu'au niveau de l'Université. Pour cet enseignement précisément, il faudra tout particulièrement tenir compte de l'économie des forces de l'âme. L'enseignement du latin et du grec se place lui aussi dans les heures de la matinée.
Les heures de l'après-midi sont ensuite consacrées à ce qui concerne l'organisation physico-éthérique : la gymnastique, l'eurythmie et ce qui fait partie de l'élément artistique sous sa forme spécifique. Nous parlerons de ces matières ces prochains jours à propos de divers cas. L'élément artistique joue donc précisément un rôle tout à fait essentiel dans l'ensemble de notre enseignement à l'École Waldorf.
Il entre absolument en ligne de compte que tout ce qui est pour ainsi dire éducation et enseignement intellectuel doit être traité avec les enfants dans les heures de la matinée et c'est seulement après que l'on en a terminé de ce côté que pendant l'après-midi on propose aux enfants des activités s'adressant à l'organisation physico-éthérique, dans la mesure où ils n'y ont pas donné libre cours pendant les récréations de la matinée. Et après que cette éducation plutôt physique et gymnastique a eu lieu, on ne fait pas revenir de nouveau l'enfant à un enseignement intellectuel. J'ai déjà indiqué que ceci exerce une action destructrice sur la vie : car, pendant que les enfants cultivent précisément ce qui concerne l'organisation physico-éthérique — nous donnerons les détails ces jours prochains —, un élément suprasensible inconscient travaille en l'enfant et la tête n'est plus en mesure, après s'être adonnée à cette éducation des corps physique et éthérique, de revenir à ce travail intellectuel après cette activité. Insérer par exemple une heure de gymnastique dans le reste de l'enseignement, même si ce n'est pas une heure entière, et s'adonner à la croyance que l'on peut obtenir grâce à ce changement un résultat quelconque pour l'enseignement est absolument faux. Le caractère homogène que cela confère à l'enseignement de la matinée et de l'après-midi s'avère être extrêmement bénéfique pour l'évolution de l'être humain. C'est précisément lorsqu'on se relie partout de cette manière à ce qui est humain que s'instaurent aussi de la meilleure façon les affinités humaines, les tendances humaines profondes chez les êtres que l'on doit éduquer.
J'ai déjà dit que nous avons été nous-mêmes obligés de donner nous aussi une sorte d'enseignement religieux anthroposophique pour les enfants. Mais bientôt se fit jour un autre besoin se rapportant précisément à cet enseignement religieux anthroposophique et nous avons dû en venir à instituer un office du dimanche qui a quelque chose d'un culte et auquel les enfants participent avec une grande ferveur religieuse. L'élément cultuel qui vient à l'être humain sous forme d'images est réellement quelque chose qui pénètre, par le biais de ce que l'on voit, dans l'intériorité, dans le sentiment religieux. Et ainsi ce petit office cultuel qui est célébré chaque dimanche matin avec les enfants agit sur l'intériorité des enfants dans le sens d'un approfondissement extraordinaire.
Ceci a dû prendre une forme élargie pour le moment du départ de l'école. Dans le reste de l'Allemagne, on a l'habitude que les enfants fassent leur confirmation — ou encore communion solennelle — c'est l'indication d'une maturité pour la vie, marquée par un office où un enseignement est donné à travers une cérémonie. Nous aussi, nous avons institué quelque chose de semblable pour les enfants qui ont achevé l'école primaire et ceci également a fait aux enfants une impression extraordinaire et surtout durable, comme on a déjà pu le constater.
II en est ainsi que, par une telle pratique d'enseignement et d'éducation reposant sur une connaissance de l'être humain, bien des choses s'avèrent nécessaires auxquelles on ne prête sinon pas attention. Un exemple : il en est ainsi en Allemagne que les enfants reçoivent des bulletins à la fin de l'année scolaire. Des bulletins, il faut bien leur en donner afin qu'ils puissent emporter quelque chose à la maison pour les vacances. Mais nous avons cependant été obligés d'adopter à l'égard de ces bulletins une position tout à fait particulière. Je dois avouer qu'il me serait extraordinairement difficile de faire quelque chose de sensé à l'École Waldorf s'il me fallait suivre pour les bulletins la mode allemande. Je ne le pourrais pas pour la raison suivante : je n'ai jamais réussi à distinguer entre un résultat « satisfaisant » « presque satisfaisant », « suffisant » « presque suffisant », « à peine suffisant » etc., ce qui doit de plus se traduire ensuite en chiffres, si bien qu'en Allemagne bien des bulletins scolaires ont cette allure : d'un côté il y a les matières, puis à côté on lit 4 ½, 3, 3-4[4] etc. Je n'ai jamais réussi de ma vie à comprendre ce genre de liens occultes ! C'est pourquoi il nous a fallu donner une forme toute différente aux bulletins scolaires.
A la fin de l'année, l'enfant reçoit certes un bulletin quand il part en vacances. Mais il s'y trouve une sorte d'image-reflet créée par le professeur de façon toute individuelle pour l'enfant, quelque chose de biographique qui s'étend sur toute l'année et il est toujours apparu que les enfants reçoivent cela avec grande satisfaction. Ils y lisent l'image d'eux-mêmes, que l'on dessine avec toute la bienveillance requise, mais sans y ajouter de couleurs de son cru, sous la forme par exemple que l'on enjoliverait les choses d'une façon ou d'une autre. Ils acceptent cela avec grande satisfaction. Puis vient un texte rythmé, entièrement individualisé pour chaque enfant, que chaque enfant trouve écrit dans son bulletin. Et ce texte rythmé constitue une sorte de maxime de vie pour l'année suivante. C'est une chose qui a, à mon avis, déjà fait ses preuves et qui les fera encore par la suite, même si par ailleurs on peut le qualifier, à l'aide d'une expression devenue courante en Allemagne ces dernières années, de succédané de bulletin.
Eh bien, grâce à l'effet de cette pratique de l'École Waldorf, les enfants sont en fait contents d'être à l'école et on peut bien voir un symptôme de leur plaisir à être à l'école — je raconte volontiers des anecdotes, pour caractériser à l'aide de symptômes — dans ce que me raconta un jour une mère d'élève : mon garçon n'a jamais pu s'habituer à me témoigner d'une façon quelconque de la tendresse ; il ne pouvait pas témoigner de la tendresse. Maintenant il est à l'École Waldorf, a fait toute l'année scolaire, est allé en vacances ; les vacances se terminaient et, alors que les vacances étaient sur leur fin et qu'on dit au garçon qui était encore assez jeune, qu'il pouvait retourner à l'école, eh bien, ce fut la première fois que mon garçon m'a embrassée. — C'était tout de même un symptôme de ce qui pénètre dans le cœur des enfants qui sont éduqués à la gentillesse à l'égard des êtres humains grâce à la connaissance de l'être humain et qui y restent aussi grâce aux bulletins qu'ils reçoivent et autres choses semblables.
Je voulais vous parler aujourd'hui de ces choses qui sont liées, aimerais-je dire, à l'organisation extérieure de l'École Waldorf, vous présenter pour ainsi dire l'École Waldorf en tant que telle avant de continuer à décrire les aspects particuliers. J'ai estimé cela nécessaire et j'ai dû sur ce point m'écarter du programme établi primitivement selon lequel aurait dû venir aujourd'hui la description de la période de l'enfance qui suit immédiatement le changement de dentition. Ceci sera rattrapé demain. Mais je voulais précisément pouvoir insérer la description qui suivra dans le cadre extérieur, pratique, qui s'est constitué pour l'École Waldorf.
Rudolf Steiner
[Texte en gras ou souligné : SL]
Notes
[1] Rudolf Steiner : « Théosophie » GA009
[2] Rudolf Steiner : « Introductions » in « Réunions avec les professeurs de l’école Waldorf », GA300 (non traduit)
[3] Ce sont les équivalents du Baccalauréat en France.
[4] En Allemagne, les notes s’échelonnent de 1 (la meilleure) à 6 (la moins bonne) (N.D.T.)
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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