Huitième conférence du cycle « La réalité des mondes supérieurs »
Oslo, 30 novembre 1921
Conférence organisée à la demande de la société de sciences politiques, en présence de professeurs et de professionnels, dans la salle de fête de l'université d'Oslo.
Rudolf Steiner – GA079
Traduction : Georges Ducommun
Édition anthroposophiques romandes - 1996
Mes remerciements vont d'abord à Monsieur le Président pour ses propos chaleureux. Je vous prie de croire que c'est avec autant de cordialité que je vous dis ma satisfaction de pouvoir vous présenter ici quelques aspects de mes préoccupations sociales auxquelles j'ai consacré une grande partie de mon temps. Mais je dois évidemment m'excuser d'avoir à traiter aujourd'hui un sujet extraordinairement difficile, celui de la question sociale. Au cours d'une brève conférence on peut tout au plus esquisser quelques lignes directrices et éventuellement faire quelques suggestions, et je vous prie d'en tenir compte. Peut-être pourrait-on penser qu'en s'engageant sur le terrain du social, celui qui se consacre avant tout à rendre populaire et à faire connaître la science spirituelle anthroposophique ne peut énoncer que des utopies, des propos fantaisistes peu adaptés à la réalité de l'existence. Or ce que j'ai tiré de la pensée anthroposophique à propos de la question sociale se distingue des discours couramment tenus aujourd'hui dans ce domaine peut-être précisément parce que je désire traiter de la vie pratique et que je refuse de discuter des théories plus ou moins sociales actuellement propagées.
Au cours des dernières décennies et à partir des situations les plus diverses, je me suis forgé une conception de la question sociale dont j'aimerais esquisser ici quelques lignes directrices résultant d'une observation directe de la vie sociale. J'ai acquis la conviction que notre problème social, en particulier son aspect économique, constitue aujourd'hui une préoccupation humaine très générale. Lorsqu'on aborde cette question à partir de la vie réelle, et non sous un aspect purement théorique, on constate qu'elle ne relève nullement de points de vue économiques mais qu'elle dépend de mobiles humains qui se manifestent de façon explosive à notre époque. La solution pratique passe par une approche humaine du problème. Bien entendu, il ne peut être question que d'une tentative visant à proposer une solution partielle. Vu sous cet angle, ce que j'aurai à désigner comme étant le problème cardinal de l'économie, sera tout autre chose que ce à quoi l'on pourrait s'attendre. La vie étant plus riche que les théories et les idées, je ne pourrai pas répondre simplement par de brefs propos à cette interrogation centrale de l'économie, mais je m'efforcerai de faire apparaître cette question cardinale progressivement tout au long de mon intervention.
Je dois tout de même évoquer d'abord un aspect entièrement abstrait et constater que nous vivons à une époque où l'homme, par ce qu'il pense et par les principes qu'il élabore, s'est fortement rendu étranger à la vie en général et à la vie économique en particulier. Cette conviction s'est renforcée en moi par le fait que j'ai assuré pendant plusieurs années auprès du monde prolétaire l'enseignement dans différents secteurs de la connaissance et de l'instruction, tant dans le domaine de l'histoire que dans celui des questions économiques. Si j'ai pu connaître la vie du prolétaire moderne, c'est surtout parce que j'ai eu l'occasion de pratiquer avec les ouvriers des exercices de conversation et de discours libres. J'ai eu aussi la possibilité de découvrir quelles étaient les pensées et les sentiments de ces gens. Et lorsqu'on sait que de nos jours la question économique dépend avant tout de la façon dont on met les prolétaires au travail selon les exigences économiques de l'humanité, on se trouve devant la nécessité de considérer les questions économiques d'abord à partir du point de vue humain. Je me suis rendu compte que lorsqu'on essaie auprès du prolétariat d'éveiller l'intérêt pour tel ou tel sujet, les problèmes concrets de l'économie, la compréhension de la vie économique pratique ne les intéressent absolument pas. Ces gens sont étrangers à tout problème économique concret. Chez les prolétaires — et sur le plan international ils se comptent par millions — il n'existe à l'égard de l'économie qu'une théorie abstraite. Or cette théorie abstraite constitue pour ce prolétariat tout de même le centre d'intérêt de leur vie. A l'égard de son travail, c'est-à-dire du vrai contenu de son travail, l'ouvrier prolétaire demeure intérieurement très distant. Peu lui importe le genre de travail qu'il accomplit. La seule chose qui l'intéresse, c'est de savoir comment il est traité par son employeur. Et lorsqu'il parle de ce traitement, il s'exprime là encore en fonction de points de vue généraux totalement abstraits. Ce qui l'intéresse, c'est le rapport qui existe entre son salaire et le bénéfice tiré du produit à la fabrication duquel il participe, alors que la qualité de ses produits se situe totalement hors de son centre d'intérêt. Au cours de cet enseignement chez les prolétaires j'ai essayé d'éveiller l'intérêt pour les secteurs concrets de la fabrication et de l'entreprise à partir de l'histoire et des sciences naturelles. Mais tout cela n'intéresse pas vraiment le prolétaire. Ce qui l'intéresse, c'est le rapport des classes, la lutte des classes, et ce que je n'ai pas à caractériser ici, ce qu'il appelle la plus-value. Ce qui retient son attention, c'est le développement historique de la vie économique, dans la mesure où c'est en elle qu'il voit la cause de l'évolution de la vie humaine au cours de l'histoire. Je parle au fond seulement d'une région théorique perchée bien au-delà de la vie dans laquelle il se trouve engagé du matin au soir, et il aimerait former la réalité selon ce modèle. On peut dire que ce qui constitue sa théorie à l'égard de la vie économique procède également d'une façon de voir très théorique. De nos jours la plupart des prolétaires sont des marxistes convaincus ou plus ou moins séduits, c'est-à-dire des adeptes d'une théorie qui ne s'occupe pas vraiment des conditions de la vie économique en tant que telle, mais qui agit dans le sens que je viens de caractériser.
C'est ce que l'on apprend aujourd'hui dans ces milieux lorsqu'on fréquente les prolétaires et que l'on voit ce qui est agissant parmi eux. Dans une certaine mesure, ce n'est qu'un reflet d'une aliénation des intérêts proprement humains à l'égard de la vie pratique telle qu'elle s'est développée progressivement au cours des siècles derniers. On est tenté de dire que l'aspect de plus en plus complexe de la vie économique a engendré une sorte de torpeur, en conséquence de quoi ce que l'éthique considère comme bon et comme juste ne permet plus de plonger dans les divers secteurs sans cesse plus compliqués de la vie économique. Lorsqu'on ne parle pas à partir de la réalité pratique, mais uniquement à partir de points de vue généraux abstraits, les exigences que l'on avance et les principes que l'on arrête ne permettent plus guère d'aborder le travail quotidien et les tâches quotidiennes.
J'ai pu montrer cela à partir de ma propre expérience de la vie, mais je peux aussi le confirmer à l'aide de multiples exemples tirés de l'histoire. A cet effet j'aimerais évoquer un cas grotesque : dans le but d'établir les bases pour ses propositions sur la façon de traiter la question cardinale de l'économie, Bismarck a dit en 1884 devant le Reichstag allemand qu'il reconnaissait à chacun le droit au travail. Puis il a apostrophé les députés à peu près dans les termes suivants : veillez à ce que la collectivité assure à tout individu sain le travail qui lui permet de se nourrir, veillez à ce que les malades ou les faibles soient pris en charge par la collectivité, veillez à ce que la collectivité s'occupe des personnes âgées, et vous pouvez être certains que le prolétariat échappera à ses dirigeants prolétariens, et que les théories socialdémocrates qui sont propagées ne trouveront plus d'adeptes. Telles furent à peu près les paroles de Bismarck qui, dans ses Mémoires avoue que dans sa jeunesse il avait un penchant pour les républicains. Or vous le connaissez sans doute sous l'étiquette d'un pur monarchiste. Sans doute n'aurait-il pas été d'accord qu'une réunion prolétaire se termine par un vivat en l'honneur de la social-démocratie internationale.
J'aimerais citer encore une autre personnalité qui a dit presque la même chose avec des mots semblables et qui cependant par toute sa mentalité, par toute sa sensibilité humaine se situait sur un fondement humain très différent. Il s'agit de Robespierre. En formulant ses Droits de l'homme, il avait dit à peu près la même chose en 1793 déjà, non, il avait même dit exactement la même chose que Bismarck en 1884 au Reichstag : c'est le devoir de la collectivité de procurer du travail à chaque individu, de s'occuper des malades et des faibles, de prendre en charge les personnes âgées lorsqu'elles ne peuvent plus travailler. Robespierre et Bismarck, mêmes propos, mais sans doute pour chacun sur une base humaine différente. A cela il faut ajouter un troisième aspect qui n'est pas dépourvu d'intérêt. En prononçant ces paroles « robespierriennes », Bismarck qui à coup sûr ne les avait pas apprises chez Robespierre, fit référence à une loi prussienne de 1794.
On ne peut absolument pas en déduire que la Prusse a inséré dans ses textes de loi les droits de l'homme un an après le Manifeste de Robespierre sur les droits de l'homme, et personne dans le monde ne peut imaginer que l'Etat prussien ait voulu réaliser les idées de Robespierre conformément au code prussien et que Bismarck à son tour aurait repris cette exigence un siècle plus tard. Vis-à-vis des données de l'histoire se pose alors la question : comment se fait-il que Robespierre et Bismarck, ces deux personnages si dissemblables, aient pu dire textuellement la même chose, alors que chacun était confronté à un milieu social différent pour y faire valoir ces idées ?
Cette affaire m'amène à penser qu'aujourd'hui, lorsque nous parlons de la vie qui est devenue tellement compliquée au cours des siècles derniers, nous, puis Bismarck de la droite, de l'extrême droite, et Robespierre de l'extrême gauche, nous sommes tous d'accord sur les principes généraux. Nous nous entendons parfaitement sur les principes généraux. Mais dès que nous abordons la vie réelle, un profond désaccord nous sépare, tellement nos principes généraux sont éloignés de la vie quotidienne. Aujourd'hui, lorsqu'il s'agit de la vie pratique, il ne nous est pas possible de concrétiser en détail ce qui relève de nos pensées générales. Ce qui s'avère le plus abstrait aujourd'hui, ce sont les exigences économiques qui émanent des théories prolétariennes. Je viens d'en caractériser les raisons.
De nos jours on est confronté à cet état de fait. Et il faut dire qu'il résulte du développement qui a marqué les temps modernes. Nous voyons que la partie de la vie économique que nous appelons le processus de production n'a cessé de se diversifier à la suite des acquis techniques de plus en plus complexes. Pour employer un slogan en vogue, je dirai : nous constatons que la vie qui dépend de la production n'a cessé de prendre une tournure collectiviste.
Que peut faire aujourd'hui l'individu dans le cadre de la vie de la production au sein de notre organisme social ? Partout il est enchaîné dans ce qui doit être entrepris conjointement avec d'autres. Notre mode de production est devenu tellement compliqué que l'individu se trouve comme enserré dans un énorme mécanisme. La vie du secteur de la production a pris une tournure collectiviste. C'est surtout cela que le prolétaire constate. Par suite de sa vision fataliste de l'économie, il escompte que le collectivisme ne cessera de se renforcer et que les secteurs de la production continueront de fusionner jusqu'au moment où le prolétariat international pourra se charger lui-même de la production. C'est à cela que tend le prolétaire. Il s'adonne ainsi à la grande erreur de croire que la collectivisation de la production est une nécessité de la nature, car pour lui les nécessités économiques se présentent presque comme une nécessité naturelle. Il pense également qu'il faut poursuivre le développement du collectivisme, et surtout que le prolétariat a vocation d'occuper alors les sièges sur lesquels sont assis les producteurs actuels, et que ce qui est devenu collectif doit être géré de façon collectiviste. L'intensité avec laquelle le prolétariat tient à une telle idée issue de ses intérêts économiques trouve son triste reflet dans les résultats de l'expérience économique entreprise à l'Est. Il faut cependant savoir que ce n'est pas sur les rêves des théoriciens du prolétariat que repose l'essai entrepris pour donner à la vie économique sa forme, mais sur des événements de guerre. Aujourd'hui déjà on peut voir, et cela se verra de plus en plus, qu'indépendamment de ses valeurs éthiques et autres, ou des sympathies et antipathies que l'on porte à cette tentative, elle doit nécessairement échouer de façon lamentable et apporter beaucoup de malheur dans l'humanité à cause des forces de destruction qu'elle recèle.
Face à la vie de la production il y a la vie de la consommation. Mais la vie de la consommation ne peut jamais devenir collectiviste. Dans ce secteur, chacun a une place nécessairement individuelle. C'est de la personnalité de l'homme, de l'être humain individuel qu'émanent les besoins qui, additionnés, forment la consommation totale. A côté de l'élément collectiviste de la production, l'élément individualiste de la consommation s'est maintenu. L'abîme n'a cessé de se creuser entre les intérêts de la production qui tend au collectivisme, et les intérêts de la consommation. L'intensification de ces derniers conduit à une situation critique qui ne peut que s'accentuer, tellement le contraste est énorme. Pour celui qui peut saisir d'un regard objectif la vie actuelle, tout cela n'est pas simplement une abstraction. Il constate les terribles désaccords dans lesquels nous sommes placés par la disparité qui existe entre les impulsions de la production et les besoins de la consommation.
Toutefois pour avoir une vue d'ensemble de toute la misère qui règne à cet égard jusque dans les profondeurs de l'âme humaine, il faut avoir approfondi pendant des dizaines d'années le côté pratique de la vie qui explique les dérangements qui existent dans les différents domaines de l'existence. Ce n'est pas par l'étude qu'on y parvient. Ce que j'ai écrit dans mon livre Éléments fondamentaux pour la solution du problème social[1] ne s'appuie pas sur des principes ou sur des considérations théoriques, mais c'est le résultat d'expériences pratiques vécues. Je n'ai jamais cherché à tirer de cette expérience pratique de la vie une quelconque solution utopique de la question sociale. J'ai toutefois dû constater que chez les hommes la pensée actuelle penche involontairement du côté utopique. Il m'a évidemment fallu condenser ce que j'ai appris par la diversité de l'existence. J'aurais préféré commenter cela à l'aide d'exemples concrets, mais j'ai été obligé de le condenser en phrases d'ordre général, qui à leur tour se trouvent condensées en ce slogan de « Triarticulation[2] de l'organisme social ». Mais il a tout de même fallu expliquer le contenu de ce livre en donnant quelques lignes directrices. Il a fallu expliquer comment entreprendre tout cela. J'ai donc donné quelques exemples sur la façon dont le développement du capitalisme doit se poursuivre, sur la façon de régler le problème de la main-d’œuvre, etc. J'ai donc essayé de fournir certaines indications concrètes. J'ai participé à de nombreuses discussions sur ces Éléments fondamentaux pour la solution du problème social, et j'ai toujours constaté que sur fond de leur vision utopiste des choses, les gens posent toujours la question : « Oui, mais à l'avenir, comment telle ou telle chose se présentera-t-elle ? ». Ils se sont référés aux indications que j'ai données sur certains détails mais dont je n'ai jamais pensé qu'il s'agissait d'autre chose que de simples exemples. Dans la vie concrète, tout ce que l'on fait, tout ce qu'on arrange de son mieux pour pouvoir, sous une forme ou une autre, l'insérer dans la réalité, tout cela peut également être fait autrement. La réalité n'est pas telle qu'une seule et unique théorie puisse s'appliquer à elle. Tout pourrait parfaitement être fait autrement. Toutefois l'utopiste aimerait une formule unique pour caractériser le tout jusque dans ses détails. Cela explique que, par les autres, ces Éléments fondamentaux pour la solution du problème social ont souvent été interprétés dans un sens utopiste. Le tout a souvent été transformé en utopie, alors que je n'ai à aucun moment envisagé la moindre utopie. Ces Éléments fondamentaux... procèdent d'une observation du collectivisme qui découle du processus de production, de cette nécessité inhérente à la production de s'embarquer dans le collectivisme, et d'autre part de la constatation que toutes les forces de production dépendent des facultés de l'individu humain.
L'observation du secteur de la production moderne a permis au regard intérieur de constater à quel point l'impulsion fondamentale qui anime toute production fait que les facultés personnelles sont en quelque sorte absorbées par le collectivisme qui se dégage de la vie économique et qui continuera de se développer. D'une part on s'est trouvé placé devant la tendance inhérente à la vie économique, et d'autre part devant l'exigence naturelle visant à mettre en valeur les forces individuelles des différents acteurs engagés dans cette vie économique. On se trouve alors devant la nécessité de réfléchir à la façon dont cette exigence fondamentale du progrès économique, c'est-à-dire le développement des facultés individuelles, peut être assuré au sein du processus de production sans cesse plus compliqué par suite des contraintes techniques. Devant notre âme se présente de façon vivante la nécessité du progrès de l'économie et les existences indispensables requises par la vie économique pour prospérer.
Par ailleurs tout ce que nous appelons aujourd'hui la question sociale ne relève pratiquement pas des intérêts de la production. Lorsque dans le secteur de la production on aspire au collectivisme, cela s'appuie sur les possibilités techniques de la vie économique, sur les impératifs techniques. Or la question sociale émane entièrement des préoccupations de la consommation qui ne peuvent être fondées que sur l'individu humain. Alors apparaît un fait étrange : contrairement à ce que l'on pense généralement, c'est à partir des intérêts des consommateurs que retentit dans le monde l'appel en faveur d'une socialisation. On s'en rend compte lorsqu'on s'intéresse aux discussions et à la vie pratique. Je m'en suis aperçu lors des conférences que j'ai, commencé à faire à partir d'avril 1919, suivies de discussions. J'ai compris lors de ces discussions que les producteurs ou entrepreneurs en prise directe avec l'économie montraient peu d'empressement et de sympathie pour tout ce qui concerne la question sociale telle qu'elle émerge des intérêts des consommateurs.
Par contre on voit que partout où retentit l'appel en faveur du socialisme on n'a en vue que les intérêts de la consommation. Il s'avère que ce sont les impulsions volontaires de l'individualisme qui façonnent les idéaux du socialisme. Il est vrai que c'est à partir d'émotions purement individuelles que les militants se battent pour leur socialisme. Or cette lutte pour le socialisme n'est au fond qu'une simple théorie qui vogue sur ce qui émane des émotions individuelles. Mais d'autre part l'observation sérieuse de ce qui s'est de plus en plus développé depuis des siècles dans notre vie économique fait pleinement apparaître toute l'importance que l'on doit accorder à ce que l'économie politique appelle la division du travail.
Je suis convaincu que des propos extrêmement spirituels ont été tenus au sujet de cette division du travail, mais je ne pense pas que les ultimes conséquences en aient été tirées et transposées dans la vie économique pratique. Si je ne le crois pas, c'est parce qu'on devrait avoir compris que ce principe de la division du travail a pour conséquence que dans un organisme social où règne un partage intégral du travail personne ne peut plus produire pour lui-même. Nous pouvons observer aujourd'hui encore les derniers vestiges d'une production individuelle, surtout dans les petites exploitations agricoles. Là nous constatons que le producteur prélève ce dont il a besoin pour lui et sa famille. Quelle est la conséquence de cet approvisionnement des besoins du producteur lui-même ? Cela a pour effet qu'en tant que producteur il se trouve dans une situation incompatible avec l'organisme social conçu selon le principe de la division du travail. Aujourd'hui toute personne qui confectionne un vêtement pour ses propres besoins ou qui couvre ses besoins avec les aliments cultivés sur ses propres terres s'approvisionne à un prix trop élevé; en effet, sous le régime de la division du travail un produit est meilleur marché que lorsqu'on le fabrique soi-même. Il suffit de réfléchir à ce fait pour se rendre compte que de nos jours personne n'est en mesure de produire de telle sorte que son travail entre dans le produit. Et pourtant nous assistons au fait curieux que Karl Marx considère que tout produit est du travail cristallisé[3] . Or cela n'est absolument pas le cas aujourd'hui. La valeur — et c'est le seul élément qui compte dans la vie économique — la valeur d'un produit est ce qui dépend le moins du travail. Elle est déterminée par les avantages qu'elle apporte, par les intérêts du consommateur, par l'utilité qui lui est attribuée dans le cadre de l'organisme social régi par le principe de la division du travail.
Dans le domaine de l'économie cela fait apparaître les grandes questions qui se posent de nos jours. A partir de ces questions j'ai acquis la conviction qu'au point où se trouve l'évolution de l'humanité, il est devenu indispensable aujourd'hui de donner à l'organisme social une forme telle qu'il puisse de plus en plus se présenter selon ses trois aspects caractéristiques. Et parmi ceux-ci je dois d'abord retenir le domaine de la vie de l'esprit qui pour l'essentiel repose sur les facultés humaines. Lorsque je parle de la triple articulation de l'organisme social, j'attribue au domaine spirituel non seulement la vie spirituelle plus ou moins abstraite, la vie spirituelle relative au monde de l'esprit, mais également tout ce qui repose sur les facultés et aptitudes humaines, spirituelles ou physiques. Je tiens à insister sur ce point, sinon on risque de méconnaître totalement le cadre de ce que j'appelle le domaine de l'esprit au sein de la triarticulation de l'organisme social. Même celui qui ne fait que du travail manuel a besoin d'un minimum de facultés pour exercer son métier. Il a encore besoin de bien d'autres qualités qui ne font pas nécessairement apparaître l'intéressé comme un membre du secteur économique, mais comme un membre du domaine de l'esprit.
L'autre domaine de l'organisme social est celui de l'économie. L'économie pure repose uniquement sur la production et la consommation ainsi que sur la circulation entre production et consommation. En d'autres termes, l'économie pure ne porte que sur la circulation des biens produits qui, grâce à cette circulation, deviennent des marchandises. On a donc à faire à la circulation de marchandises. Lorsqu'un bien qui rend service et est utilisé reçoit dans le cadre de l'organisme social une certaine valeur, celle-ci agit sur son prix. Un tel bien devient, au sens où je l'ai expliqué, une marchandise.
A cela s'ajoute la chose suivante. Les lignes directrices que je désire donner ici ne peuvent être que des remarques aphoristiques, sinon mon exposé serait beaucoup trop long. Il s'avère que tout ce qui est marchandise peut avoir une véritable valeur objective non seulement en rapport avec la vie économique, mais aussi en rapport avec la vie sociale dans son ensemble. Par la place qu'il occupe dans la vie de la consommation le produit reçoit une valeur déterminée qui a une signification objective. Arrivé à ce point de mon exposé, je dois préciser ce que j'entends par « signification objective ».
Lorsque je parle de « signification objective », je ne veux pas dire que la valeur de la marchandise à laquelle je fais allusion peut être indiquée d'après des statistiques ou d'autres repères semblables. En effet les conditions et circonstances qui entrent dans la valeur d'une marchandise sont bien trop compliquées, bien trop variées. Mais indépendamment de ce que l'on peut en savoir, toute marchandise a une valeur déterminée qui échappe à notre connaissance. Par rapport à la valeur objective réelle, le prix marchand d'un produit peut être ou trop élevé ou trop bas, ou alors il peut être conforme à sa valeur. Tandis que le prix qui se présente extérieurement à nous peut ne pas être déterminant parce qu'il peut avoir été faussé par d'autres facteurs, il est certain par ailleurs que l'on serait en mesure d'indiquer le prix objectif d'une marchandise si l'on était capable de connaître les milliers de conditions qui déterminent la production et la consommation. Cela montre que chaque marchandise a sa place particulière dans la vie économique. Ce que j'appelle simplement la valeur économique objective ne peut s'appliquer qu'à la seule marchandise et à aucune autre réalité qui figure aujourd'hui de façon semblable dans notre vie économique. On ne peut l'appliquer ni à la propriété foncière ni au capital.
Je n'aimerais pas qu'on me comprenne mal. Vous ne m'entendrez jamais caractériser le capitalisme à l'aide de slogans tels qu'on en entend si souvent aujourd'hui. En effet, la vie économique moderne ne saurait se passer de capitaux. C'est tellement évident qu'il n'est même pas nécessaire de l'expliquer longuement. Le fait de fulminer contre le capitalisme est l'affaire des dilettantes en économie. Ce que j'ai à dire maintenant à propos du capitalisme et de la propriété foncière n'a rien à voir avec ce que l'on entend si souvent à ce sujet. Ce que j'ai à dire est d'un autre ordre. On peut constater pour toute marchandise que son prix se situe au-dessus ou au-dessous d'une moyenne qui n'est pas facile à fixer mais qui existe objectivement. De ce fait elle est un élément salutaire même si elle ne peut pas être définie d'emblée. Un tel prix moyen ne saurait toutefois s'appliquer à ce qui est traité aujourd'hui de la même façon qu'une marchandise : la propriété foncière, car son prix, c'est-à-dire sa valeur, dépend aujourd'hui entièrement de la spéculation humaine et n'a rien à voir avec une impulsion sociale. Du point de vue économique, il n'existe aucune objectivité pour fixer le prix ou la valeur d'un bien foncier. Cela s'explique par le fait qu'un produit mis sur le marché peut de lui-même fixer sa valeur objective en fonction de l'intensité de la demande. Cette règle s'applique à tous les produits, quelle que soit leur qualité.
On ne peut pas en dire autant de la propriété foncière ni d'ailleurs du capital. La façon dont propriété foncière et capital se placent dans l'ensemble économique et social dépend entièrement des facultés humaines. Les deux ne sont jamais des données définitives. Lorsque j'ai à gérer une propriété foncière, je ne peux le faire que selon mes facultés personnelles, et de ce fait sa valeur demeure toujours variable. Il en est de même pour le capital que j'ai à gérer. Celui qui étudie ce fait dans toute sa signification est amené à dire qu'il existe effectivement une grande différence entre d'une part la marchandise et d'autre part le bien foncier et le capital[i]. Il en résulte que certains symptômes surgissent dans la vie économique et indiquent nettement que l'organisme social est malade. Ces symptômes sont dus au fait que l'économie ne connaît qu'une seule et même valeur pour des éléments pourtant disparates; par le biais de l'argent elle permet que s'échangent indifféremment des éléments de nature dissemblable qui devraient être traités dans des secteurs différents de l'économie.
On peut poursuivre cette étude afin de savoir comment ce traitement uniforme a pu entrer dans l'organisme social où l'on règle avec le même argent à la fois les marchandises, les biens de consommation, et les biens fonciers et le capital. Ces derniers sont également devenus des objets de commerce. Toute personne familiarisée avec la vie économique en est consciente… Lorsqu'on se demande comment cela a pu se faire et que l'on interroge l'histoire de l'humanité, on peut retenir le fait suivant : Il y a toujours dans notre organisme social une coopération qui n'est pas organique, une coopération entre trois domaines de la vie dont les racines puisent à des sources différentes, mais dont la cohésion dans la vie sociale est assurée par l'individu. Il y a d'abord le domaine de l'esprit, le domaine dans lequel sont à l'œuvre des facultés humaines que l'être humain puise dans d'autres mondes pour les insérer dans la vie ici-bas; elles font partie de ses propres dispositions et lui permettent de s'épanouir. Elles portent la marque de l'individu et peuvent d'autant mieux se développer lorsque l'être individuel trouve dans la vie sociale la place qui lui permet de s'exprimer. Peu importe que l'on soit matérialiste ou autre chose; ce qui est certain, c'est que l'on devra toujours reconnaître que ce qui est à l'œuvre dans ce domaine est ce que l'homme apporte avec lui dans le monde au moment de la naissance. De l'habileté physique chez le travailleur manuel jusqu'à la plus haute manifestation chez l'inventeur, la réussite dépendra toujours de l'individu.
Autre chose encore intervient dans le domaine de la vie économique. Ce que je vais dire à ce sujet, je désire l'étayer par un fait. Vous savez tous qu'à un certain moment du XIXe siècle est apparu l'idéal de l'étalon-or unique. Celui qui étudie ce que des économistes, des théoriciens de l'économie, des parlementaires ont dit à l'époque où l'on cherchait à introduire l'étalon-or, et je le dis sans ironie, trouvera que cela n'était pas dépourvu d'esprit. On est souvent frappé par les propos intelligents tenus dans les parlements, dans les chambres de commerce et autres institutions à propos de l'étalon-or et de ses bienfaits pour la vie économique. Il a été dit entre autres, et cela a été mis en évidence surtout par les personnes les plus éminentes, par un grand nombre de personnes les plus influentes, que l'étalon-or aurait pour effet de créer partout dans l'économie un libre-échange florissant, et que les frontières politiques nuisibles à l'économie perdraient toute leur importance. Les motifs invoqués, les preuves avancées pour justifier une telle affirmation sont extraordinairement spirituelles. Mais que s'est-il passé, en fait, dans la réalité ? En réalité on a constaté que justement dans les domaines où l'on s'attendait à voir les frontières économiques s'ouvrir grâce à l'étalon-or, il s'est tout de même avéré nécessaire de les maintenir, ou du moins, nombreux furent ceux qui ont exigé qu'elles soient maintenues. La réalité de la vie économique a conduit à l'opposé de ce que des gens intelligents avaient prédit sur la base de considérations théoriques.
Il s'agit là d'un fait historique très important qui n'est pas tellement loin derrière nous et dont on devrait tirer les conséquences qui s'imposent. Et quelles sont ces conséquences ? Ce sont celles qui résultent inévitablement de la prise en compte de l'expérience économique réelle. Dans le domaine de la vie économique qui englobe la production, la circulation et la consommation des marchandises, l'intelligence individuelle ne sert à rien. Il s'agit là d'une vérité qui saute aux yeux de tout observateur impartial. On peut être très intelligent, on peut réfléchir astucieusement à la vie économique et avancer des preuves convaincantes, mais la vie économique ne les confirme pas. Pourquoi cela ? Parce que la vie économique ne se prête pas à des considérations individuelles. L'expérience économique, la connaissance de l'économie, ne saurait conduire à des jugements valables que si ceux qui sont impliqués de différentes façons dans l'économie parviennent à s'entendre. Même en se référant à des statistiques, l'individu ne peut jamais accéder à un jugement probant sur les perspectives de l'économie. Pour cela il faut une entente entre, disons, ceux qui consomment et ceux qui produisent. Ils doivent se rencontrer dans des institutions où l'un peut faire état des besoins qui existent et où l'autre lui dira quelles sont les possibilités de la production. Dans la vie économique, c'est seulement à partir d'une appréciation collective résultant d'ententes au sein d'institutions de concertation que peut naître un jugement valable sur la façon de conduire la vie économique.
Nous parvenons ici à un point où la connaissance extérieure de l'économie rencontre ce que j'aimerais appeler la psychologie économique. Mais la vie est un tout, et on ne peut pas ignorer les âmes des hommes lorsqu'on veut vraiment parler de la vie pratique. Il s'agit donc de savoir qu'un vrai jugement économique ne peut être obtenu que par la concertation de ceux qui sont engagés dans la vie économique, à partir de connaissances individuelles. Celles-ci ne sont toujours que partielles. Pour parvenir à un jugement adéquat, un ajustement doit se faire entre la connaissance des uns et celle des autres. En économie seule la concertation permet d'aboutir à des jugements valables. Cela concerne évidemment deux domaines très différents de la vie humaine. Plus on choisit un point de vue pratique pour observer la vie, mieux on se rend compte de la disparité de ces deux domaines de l'économie. La production, par exemple, fait appel à l'individualité humaine, car dans ce secteur de l'économie il faut savoir comment se déroule la production et se rendre compte qu'elle repose sur les facultés humaines. Par contre tout ce qui advient du bien produit est soumis au jugement collectif. Entre ces deux domaines il en existe un troisième où l'individu est confronté à d'autres sur une base purement humaine, où doivent se former des rapports d'homme à homme. Là, ce n'est donc pas l'individu qui est appelé à déployer ses facultés, apportées à la naissance; ce n'est pas non plus un secteur où s'établissent des liens avec autrui dans le but d'ajuster les appréciations économiques afin de parvenir à un jugement collectif applicable à la pratique économique.
Et ce domaine comprend tous les rapports qui existent directement d'un individu à l'autre, non pas en tant qu'acteurs dans l'économie mais en tant qu'êtres humains. Il n'est pas question ici des facultés innées ou acquises, mais de ce qui est permis ou requis dans l'organisme social. Ce qui compte ici, ce sont les droits, les relations purement humaines qui existent d'homme à homme, indépendamment des facultés individuelles ou des positions acquises dans l'économie. C'est ainsi que se présente le troisième domaine de l'organisme social.
Il pourrait sembler que ces trois domaines résultent d'une astuce artificielle. Cela n'est pas le cas. On pourrait croire que cela ne reflète pas la réalité pratique. Or ces domaines correspondent à la réalité pratique. Ce qui fait leur spécificité se révèle directement dans la vie pratique. Et lorsque la collaboration de ces trois domaines de l'organisme social n'est pas correcte, cela provoque des dégâts dans l'organisme social. Dans mes Éléments fondamentaux pour la solution du problème social j'ai eu recours à l'analogie avec l'organisme humain. Ce faisant je n'ai pas voulu prouver, mais simplement illustrer ce que j'avais à dire, car je sais parfaitement qu'une analogie n'est jamais une preuve. Cet organisme humain est incontestablement un tout. Or une vraie analyse physiologique montre qu'il est néanmoins fondé sur une triarticulation. Dans l'organisme humain nous avons distingué clairement l'organisme neuro-sensoriel qui parcourt l'ensemble de l'homme mais est localisé plus particulièrement dans la tête. Nous avons ensuite chez l'homme un second organisme relativement autonome, l'organisme de respiration et de circulation, l'organisme rythmique. Et en troisième lieu nous avons l'organisme du métabolisme et des membres qui englobe tout ce qui est lié aux fonctions internes des échanges ou du métabolisme dû aux activités humaines extérieures, à commencer par les mouvements des membres qui mettent à contribution le métabolisme.
Je l'ai déjà dit : l'homme est un tout, mais cette unicité il la doit au fait que ces trois secteurs relativement autonomes ont une interaction harmonieuse. Ce serait stupide de vouloir substituer à cette interaction organique une unité abstraite. Chacun de ces secteurs a sa propre ouverture sur le monde extérieur : les sens, les organes de la respiration et les organes de la nutrition. Ils ont tous une autonomie relative. Et c'est grâce à cette indépendance relative que ces secteurs agissent ensemble de façon juste, organique et harmonieuse. Chaque secteur déploie sa force spécifique, et c'est cela qui conduit à une action cohérente. J'ai déjà dit qu'une analogie n'est jamais une preuve. Je ne cherche d'ailleurs pas à prouver, mais simplement à commenter. Celui qui observe l'organisme social avec la même objectivité que celle dont la physiologie fait preuve à l'égard de la triarticulation humaine, trouvera qu'en vertu de ses qualités spécifiques l'organisme social requiert une indépendance relative, dans les limites que j'ai indiquées, pour l'organisme économique, pour l'organisme politique ou législatif, et pour l'organisme spirituel.
Par manque de compréhension cette triarticulation de l'organisme social a souvent été critiquée. Il lui a été reproché que cette séparation ne pouvait pas avoir lieu puisque les rapports juridiques, par exemple, interfèrent sans cesse dans la vie économique, et qu'il en est de même des facultés spirituelles. De ce fait c'est un non-sens de chercher à réaliser une structure au sens de cette triarticulation de l'organisme social. Dans l'organisme naturel de l'homme ces trois éléments agissent aussi ensemble et forment une unité, précisément par le fait que chacun peut s'exprimer selon sa particularité spécifique. Cela n'empêche pas de devoir alimenter l'organisme neuro-sensoriel, n'empêche pas ce dernier d'avoir ses processus nutritifs particuliers, et que d'autre part cet organisme neuro-sensoriel ait un rôle important dans l'organisme métabolique. Une analyse physiologique saine établit que ces trois éléments sont tout de même relativement autonomes.
La physiologie sociale constate que justement cette autonomie relative de chacun de ces trois secteurs permet une coopération homogène s'ils développent leurs qualités spécifiques. C'est vrai pour le domaine spirituel, le domaine où l'homme se trouve tout simplement face à son prochain. C'est vrai aussi pour le domaine public, politique et juridique. Et finalement c'est vrai aussi pour le domaine économique où l'homme doit tendre au regroupement associatif. Ce qui est évoqué ici n'a rien d'une résurgence de la distinction platonicienne entre enseignants, guerriers et producteurs, car dans ce cas les hommes sont classés par ordre politique. A notre époque il ne saurait être question d'une telle séparation. Avec la triarticulation de l'organisme social il est simplement question d'une articulation de l'administration, d'un ordonnancement des trois domaines de la vie.
Le domaine de l'esprit doit absolument être géré à partir de ses propres fondements. Les enseignants, par exemple, doivent aussi assurer la gestion des affaires éducatives, de sorte que nous n'avons pas une séparation avec d'un côté la science pédagogique-didactique et de l'autre côté les règlements établis à l'intention du secteur éducatif par l'organisme politique. Tout ce qui traite de l'administration du domaine spirituel doit émaner de la science pédagogique-didactique, c'est-à-dire venir directement du spirituel. Dans le domaine public et politique tout doit dépendre de l'entente d'homme à homme au sein de corporations administratives et législatives. Dans le domaine de l'économie il faudra que se forment des groupements associatifs dans lesquels les hommes siégeront en tant que sujets de l'économie. Quelle sera avant tout la tâche de ces groupements associatifs dans le secteur de l'économie ?
Lors de la réalisation de cette tâche, l'aspect spécifique de la triarticulation peut apparaître, tel que j'ai essayé de l'exposer dans mon livre Éléments fondamentaux pour la solution du problème social. Il n'est dit nulle part dans cet ouvrage que les institutions sociales doivent se former de telle ou telle manière, ou que telle ou telle solution est la meilleure. Ce serait pour moi déjà un indice utopique. Car celui qui connaît la vie humaine actuelle sait que même les meilleures théories ne peuvent être que d'un apport insignifiant pour la vie pratique. Concrètement j'ai même la certitude suivante : On peut imaginer une douzaine de personnes — un peu plus ou un peu moins — des personnes pas particulièrement astucieuses qui se réunissent et élaborent de merveilleux programmes pour l'organisation d'une école primaire, des programmes contre lesquels il n'y aurait rien à objecter. Si tout ce qui figure sous le point I, le point 2, le point 3, etc., était réellement appliqué, nous aurions à faire à une école idéale. Or cela ne peut se réaliser parce que l'homme peut toujours inventer ce qui est le plus idéal, alors que ce qui peut effectivement être entrepris dépend de conditions entièrement différentes.
Á l'école Waldorf de Stuttgart, nous avons, dans la mesure où notre époque le permet actuellement, essayé de créer quelque chose qui ne se fonde absolument pas sur des programmes mais qui découle uniquement de la pédagogie et de la didactique. L'école Waldorf a un certain nombre d'enseignants. Eux aussi pourraient se réunir pour élaborer un programme scolaire idéal. Je ne les en féliciterais pas. Dieu merci cette épreuve nous a été épargnée! Le collège de professeurs est constitué d'hommes, d'êtres impliqués dans la vie. C'est ce dont ils sont capables, ce qu'il y a de meilleur en eux, c'est cela qui doit être développé. Tous les programmes idéaux sont récusés, tous les règlements sont refusés, car dans cette école tout repose sur les facultés individuelles directes de chacun. Aucun règlement ne perturbe celui qui agit à partir de la pédagogie et de la didactique, c'est-à-dire à partir des aptitudes individuelles dans un certain domaine de la vie de l'esprit. Tout est fondé sur les aptitudes individuelles des intéressés.
Aujourd'hui de tels projets ne peuvent être réalisés que dans une certaine limite Dans la vie pratique on ne peut jamais réaliser un idéal, mais il faut entreprendre ce qui est compatible avec les possibilités offertes par l'existence. Ce même principe doit être appliqué à tous les autres aspects évoqués dans mon ouvrage sur la triarticulation sociale. Je n'ai jamais été tenté de montrer comment doivent être les diverses institutions. Ce texte ne contient ni revendications ni idéaux, mais seulement des observations sur ce vers quoi l'homme tend en cette période de l'histoire. Il a été expliqué que les hommes, tels qu'ils sont, peuvent agir autrement qu'ils ne le font de nos jours s'ils sont mis à la place juste. Je ne propose pas de structures que l'on devrait appliquer à telle ou telle institution, mais je m'adresse directement à l'homme et je dis ceci : si les hommes coopèrent correctement et trouvent de façon juste les points de vue à partir desquels ils ont à considérer la question sociale, il en résultera la meilleure solution possible. Je pense que la meilleure forme que l'homme peut donner à l'organisme social est celle où chaque individu réfléchit et agit au sein de corporations spécifiques, dans le domaine de l'esprit, dans celui du droit et de la politique, et dans celui de l'économie. L'organisme social n'est pas une affaire de classes professionnelles. A la rigueur chaque individu peut s'engager dans les trois domaines s'il en a la force. Ce qui compte, ce n'est pas que tel ou tel homme soit actif justement dans tel ou tel secteur, mais que les trois secteurs de la vie soient gérés objectivement selon les conditions qui leur sont propres, et indépendamment de l'homme, de sorte que l'homme puisse participer aux trois, ou à deux, ou à un seul domaine. Mais chaque domaine doit être géré selon les principes qui lui sont propres. Celui qui réfléchit à l'harmonie qui peut s'établir ainsi entre ces trois domaines verra bien que pour la triarticulation sociale tout tend à l'unicité. Il ne saurait être question de séparation comme cela a souvent été insinué à tort dans des articles critiques ou dans des comptes rendus.
Surtout dans le domaine économique, les orientations ne doivent pas être cherchées dans les statistiques, par exemple, mais directement dans la réalité de la vie. Je vais donner un exemple. Tout le monde sait que dans le circuit économique un article, une marchandise est trop bon marché si un trop grand nombre d'hommes produisent la même chose et qu'il y a une production excédentaire; et tout le monde sait qu'une marchandise est trop chère lorsque trop peu d'hommes se consacrent à sa production. Cela nous permet de voir quelle est objectivement la situation médiane dont j'ai parlé. Ce milieu, cette valeur objective, ce prix objectif en tant que tel ne peut pas être défini. Mais si l'on met sur pied des groupements associatifs qui se donnent pour tâche d'apprendre à connaître la pratique de la vie économique et d'étudier ce qui s'y passe à tout instant, alors l'observation principale peut permettre de voir comment les prix augmentent et comment ils baissent. Et lorsque les groupements associatifs s'occupent de ces hausses et de ces baisses, ils peuvent à l'aide de la négociation obtenir qu'un nombre suffisant d'hommes constituent une union économique et s'occupent d'un secteur de l'économie. Tout cela ne saurait être défini de façon théorique. L'essentiel consiste à orienter les hommes et à les diriger à la place juste, de sorte que la production puisse être organisée à partir de l'expérience humaine. On ne peut donc pas dire : tel ou tel chiffre indique la valeur objective. Mais lorsque les groupements associatifs agiront dans la vie économique de telle sorte qu'ils assument la tâche de réduire progressivement la dimension des entreprises qui par leur mode de production font trop baisser les prix, et d'en développer d'autres qui produisent autre chose, alors il y aura assez de monde pour s'engager dans les différentes branches de la production. Cela ne peut se faire qu'à l'aide d'une vraie vie associative. Alors le prix qui se dégagera pour une marchandise donnée s'approchera du prix objectif. Nous ne pouvons donc jamais dire : à partir de telles et telles conditions le prix objectif doit atteindre tel montant. Nous pouvons seulement dire : si l'association humaine adéquate peut être fondée, son intervention dans la vie de l'organisme social permettra de faire apparaître progressivement le prix juste. Il ne s'agit pas d'indiquer comment doivent être les institutions pour que s'accomplisse ce qui est socialement juste, mais il s'agit de placer les hommes dans un contexte social qui permet de dégager progressivement la solution de la question sociale. Celui qui saisit bien ce qu'est la question sociale ne peut pas la considérer comme un fait occasionnel capable d'être résolu par une quelconque démarche utopique. Non, la question sociale est une conséquence de la vie communautaire moderne et vraisemblablement ne cessera d'exister jusqu'à la fin des jours. Ce qui est nécessaire, c'est que les hommes observent à partir de leur point de vue économique les courants sociaux, et qu'à partir de groupements associatifs où l'appréciation doit être exclusivement de nature économique, ils dirigent la vie économique vers des voies justes, non à l'aide de lois mais à partir d'une vision claire et directe de la vie pratique, par des négociations directes d'homme à homme. La vie sociale doit effectivement être fondée sur les valeurs humaines.
Mon livre Éléments fondamentaux pour la solution du problème social ne cherche donc pas à décrire une quelconque structure sociale; il veut simplement indiquer quelles sont les conditions nécessaires pour que les hommes collaborent et entreprennent de temps à autre ce qui est indispensable pour que la question sociale soit abordée de façon juste, et pour qu'ils renoncent à des solutions qui relèvent du simple rêve. Ces groupements associatifs se préoccuperont de préférence de la vie économique réelle. Cette vision économique repose sur la circulation des marchandises. A partir de la connaissance directe qu'elles ont de la réalité de la vie, ces associations auront donc avant tout la tendance de veiller au juste prix, de sorte que chaque homme puisse effectivement acheter ce dont il a besoin en échange de ce que lui-même produit. J'ai essayé une fois de mettre en équation la façon dont peut se présenter ce juste prix. Cela ne veut pas dire qu'il faille le déterminer de façon abstraite. J'ai déjà dit qu'il doit être fixé à partir de la vie concrète. Mais j'ai dit : dans la vie sociale un tel prix du produit, donc d'une marchandise, est celui qui donne à l'individu la possibilité de se procurer le nécessaire pour subvenir à ses besoins et ceux de sa famille jusqu'à ce qu'il ait pu fabriquer à nouveau un produit équivalent.
Je n'en fais pas un dogme. Je ne dis pas : il faut que cela soit ainsi, car on ne pourrait jamais le réaliser parce que ce genre de théories ne peut jamais être concrétisé dans la réalité. Je dis seulement que le juste prix qui résultera de la collaboration associative ira dans telle direction. Je désire indiquer un chemin, mais je ne veux pas établir un dogme, un dogme qui s'applique à l'économie. J'ai la certitude que l'important pour la pensée économique moderne est de toujours s'appuyer sur un fondement humain et de redécouvrir que l'homme doit être partout l'élément moteur de la vie économique. La structure de l'organisme social ne saurait résulter de réflexions abstraites, de théories. Il faut au contraire essayer de découvrir comment doit être la cohabitation des humains pour que naisse la solution juste.
J'aimerais encore expliquer cela à l'aide de l'analogie suivante. Dans la nature on peut constater que les conditions et les préalables créés par l'homme incluent quelque chose qui émane du sentiment élémentaire de l'être humain, mais qui ne cherche pas à fixer ce qui se forme au-dehors, dans la vie sociale. Ces derniers temps il a beaucoup été question du développement embryonnaire de l'homme qui peut être influencé de telle sorte qu'on est dans un certain sens libre de mettre au monde une fille ou un garçon. Je ne m'engagerai pas aujourd'hui dans une explication théorique, mais je considère que c'est un bienfait de voir que cette question ne trouve pas de solution pratique totale. Car bien que les hommes ne puissent pas définir de façon abstraite quelle est la meilleure répartition sur terre entre le sexe masculin et le sexe féminin, cela s'arrange approximativement sans que l'homme puisse y contribuer. Voyez-vous, il existe des lois objectives qui naissent lorsque l'homme, à partir de conditions entièrement différentes, fait ce qui émane de ses impulsions élémentaires. De la même façon, si les groupements associatifs agissent de façon juste et à partir des enseignements tirés de la vie, le juste prix se précisera grâce à l'action associative. Dans ce cas il n'est pas nécessaire d'anticiper dogmatiquement quel doit être le prix pour qu'il soit juste. Je parle de l'action associative, parce qu'il faut que l'individu humain soit présent dans cette action, c'est-à-dire que lors de la mise en commun des forces de l'un avec les forces de l'autre, l'individualité ne doit pas être effacée. Dans les coalitions, dans les coopératives[ii], l'individualité disparaît. J'ai la conviction que cela conduit à une pensée réaliste de l'économie, et non à un dogme.
On peut imaginer d'autres tâches pour ces groupements associatifs. Considérons encore une fois l'analogie avec l'organisme humain. Nous pouvons dire dans ce cas que d'après tel ou tel symptôme nous remarquons que l'organisme humain est malade. Un complexe de symptômes peut nous donner une idée de la maladie, du processus de la maladie. D'une manière semblable, c'est également valable pour l'organisme social. Aujourd'hui nous constatons nettement des symptômes de maladie dans l'organisme social. Le groupement associatif est l'élément salutaire. Ces associations contribuent à harmoniser les intérêts, de sorte que les intérêts des producteurs et ceux des consommateurs sont alors ajustés grâce à la coopération qui se fait au sein des groupements associatifs. Cet effet joue aussi pour d'autres intérêts, surtout entre employeurs et salariés. Nous voyons comment un corps économique malade engendre le contraire de la vie associative; nous assistons au refus de travailler, au lock-out et à la grève, au sabotage et même à la révolte. Toute personne ayant une pensée saine sait que cela agit dans un sens opposé au principe associatif, et que toutes ces manifestations de sabotage, de grève, de révolte etc., constituent autant de symptômes de maladie au sein de l'organisme social. Il faut les surmonter à l'aide de l'élément harmonisant qu'est te groupement associatif. Mais pour cela on a besoin d'une structuration réelle et adéquate de cet organisme social, semblable à l'organisme humain et sa triple fonction qui est d'une structure naturelle et adéquate.
Et maintenant je reviens à ce que j'ai dit à propos de la propriété foncière et du capital. On ne peut pas les assimiler à une marchandise dont la valeur dépend des facultés humaines. Lorsqu'il existe la tendance à une unité abstraite telle qu'elle s'est progressivement développée ces derniers temps, mais qui contient également les symptômes de maladie que nous avons évoqués ainsi que d'autres encore, alors cette tendance à l'uniformité fait que le bien foncier, le capital, puis en fin de compte aussi le travail sont considérés comme de la marchandise.
Dans le cas d'un organisme social triarticulé, dans le domaine de la vie spirituelle c'est l'individu qui agit, les forces de l'individualité. Tout ce qui concerne le développement de l'individualité dans la vie économique, donc ce qui est en rapport avec la propriété foncière et le capital, tout cela fait normalement partie du domaine spirituel de l'organisme social. C'est pour cette raison que j'ai dit que la gestion du capital, la gestion du bien foncier doivent se dérouler dans la partie spirituelle de l'organisme social.
Celui qui émet des critiques et prétend que je déchire les trois domaines ne s'aperçoit pas, bien que je le décrive moi-même, que l'organisme spirituel qui est édifié sur la force individuelle se charge lui-même de gérer le capital et le bien foncier, dès lors que les hommes se sont vus attribuer la place juste. Par contre ce qui apparaît comme travail au sein de l'organisme social est un service que l'homme exécute au bénéfice de son prochain. Le travail ne saurait être prospère s'il reste confiné dans la vie économique. C'est pourquoi tout ce qui relève de la réglementation du travail est l'affaire de l'Etat de droit, de l'Etat politique. Mises à part les conventions économiques qui sont à régler par les groupements associatifs au sein même de la vie économique, le temps et les conditions de travail sont déterminés de nos jours par des mobiles qui ne sont pas ceux qui découlent des rapports d'homme à homme Il s'ensuit une conséquence d'extrême importance : la vie économique ne peut reposer sur une base saine que si elle s'appuie d'une part sur la nature et ses règles, et d'autre part sur l'homme et ses propres règles.
Il serait sans doute très étrange de nous voir former aujourd'hui un petit comité chargé de réfléchir au nombre de journées de pluie nécessaires en 1922 pour que les affaires économiques se déroulent selon nos vœux. Il faut accepter la nature telle qu'elle est, et c'est seulement à partir de cette donnée réelle que l'on peut agencer la vie économique. C'est l'un des aspects de la vie économique. Dans l'organisme social tripartite il y a encore l'autre aspect, celui de groupements associatifs relativement autonomes, autonomes même jusque dans l'élaboration du système monétaire. L'homme est confronté à l'homme en tant qu'être humain, et non en tant que sujet de l'économie, et c'est en sa qualité d'homme qu'il élabore les lois du travail. Ce n'est pas à partir de motifs économiques que l'on réglementera le travail, ce n'est pas par rapport au prix de la marchandise ou des rapports entre les marchandises échangées, ce n'est pas en fonction des exigences économiques que l'on déterminera le travail, pas plus qu'on ne détermine le rendement de la nature d'après des critères économiques. La vie économique doit reposer à la fois sur des conditions purement humaines et sur des conditions purement naturelles.
Ce qui se réalisera alors n'aura rien d'utopique. Que gagnerait-on à se demander comment l'homme pourrait avoir une meilleure forme que celle qu'il a ? On ne peut que l'étudier tel qu'il est. On peut donc dire que ce serait une belle chose de disserter sur les mondes futurs où tout se déroulerait selon les vœux des hommes. Mais une telle démarche est stérile. On peut imaginer toutes sortes de structures pour l'organisme social. Mais cela n'est pas la vraie question. La seule question qu'il y a lieu de se poser est la suivante : comment est-ce possible ? Comment les éléments de l'organisme social doivent-ils coopérer pour qu'il soit, sinon le meilleur, tout au moins celui qui peut exister par ses propres forces et qui, avec le moins possible de symptômes de maladie permet un développement sain ?
Si l'on cherche à s'entendre à partir d'une connaissance réelle des conditions de la vie sociale, on peut éventuellement, comme je le pense, parvenir à une entente à propos de la question cardinale de la vie économique que j'ai esquissée. Cette entente a été présente tout au long de mon exposé. Je ne désire cependant pas la couler dans une formule dogmatique. De nos jours de terribles luttes surgissent et désagrègent la vie économique. Cela est dû au fait que la vie économique et son rôle dans l'organisme social ne sont pas étudiés avec la même bonne volonté qu'à l'égard de l'organisme naturel. C'est seulement lorsqu'on procédera à l'égard de l'organisme social de la même façon qu'en biologie, en physiologie et en thérapeutique que l'on découvrira les possibilités qui existent. C'est alors seulement que les questions dont on dit aujourd'hui qu'elles sont les questions sociales, pourront être posées de façon juste. Ces problèmes seront alors ramenés à l'élément humain. Le plus difficile me semble être aujourd'hui la nécessité d'éveiller le plus possible les esprits et les sens à cette compréhension naturelle de l'organisme social, pour une approche de l'organisme social au regard de la maladie et de la santé, à l'image de ce que les sciences naturelles s'efforcent de faire à l'égard de l'organisme humain. Je pense que l'on peut reconnaître aujourd'hui qu'il faut dire du problème cardinal de la vie économique : la lumière doit nous venir de cette triple articulation de l'organisme social, en vie économique pure, vie politique-publique-juridique, et vie de l'esprit. Ces trois domaines ne doivent pas être séparés les uns des autres, mais chacun doit pouvoir coopérer de façon d'autant plus harmonieuse avec les autres que son autonomie relative lui permet de développer ses propres forces.
La question cardinale de la vie économique est la suivante : comment le capital, la propriété foncière, l'appréciation du travail humain, la vie publique et la vie spirituelle doivent-ils agir en toute indépendance dans la pure vie économique pour que celle-ci, grâce à la formation de groupements associatifs, puisse devenir non pas un paradis terrestre mais tout simplement un organisme le plus social possible ? Si les réflexions s'appuient sur une approche naturelle de cette question, on peut imaginer que la question cardinale de la vie économique pourra être posée de façon correcte, pratique et conforme à la réalité de la vie. Dans la vie on constate souvent que les plus grandes erreurs que l'on fait ne sont pas dues à la poursuite de solutions fausses, en général des utopies, mais sont imputables au fait que dès le départ la question est mal posée, qu'elle ne s'appuie pas sur une observation réelle, sur une connaissance réelle de la vie. Il me semble aujourd'hui que la chose la plus importante pour la vie économique est de poser correctement le problème et d'agencer la vie de telle sorte que ce ne soient pas des réponses théoriques qui prévalent, mais que ce soient la vie elle-même, la pleine réalité humaine et historique qui fournissent la réponse à une question correctement posée. Les questions relèvent de motivations historiques; la vie doit fournir directement la réponse réelle. Aucune théorie n'est en mesure de donner une réponse; seule la pleine réalité pratique de la vie peut le faire.
Rudolf Steiner
[Texte en gras et/ou souligné : SL]
Notes
[1] Éléments fondamentaux pour la solution du problème social, GA 23 dans le livre « Au cœur de la question sociale », Éditions Anthroposophiques Romandes 2017. {NDLR : une partie de ce livre est accessible ici : https://www.tri-articulation.info/menu-triarticulation/texte-fondamental }
[2] Driegliederung, aussi traduit par trimembrement…
[3] Marx dit textuellement : « Nous avons vu que la quantité de travail indispensable qui est cristallisée dans une marchandise détermine sa valeur », Le Capital, vol. I.
A partir de 1908 Rudolf Steiner fut invité chaque année à faire des conférences dans les pays scandinaves, surtout en Norvège. Après une interruption de sept années due à la première guerre mondiale, il se rendit de nouveau en Norvège en 1921. À la demande de plusieurs institutions il fit dix conférences à Oslo, dont les deux premières au sein d'une association pédagogique. Ces deux conférences figurent dans GA 304 (non traduit). Les huit autres conférences eurent lieu devant des auditoires différents :
- Conférence I organisée par les étudiants; conférence publique dans la plus grande salle d'Oslo, avec plus de 2000 auditeurs.
- Conférence II dans le cadre des réunions hebdomadaires des étudiants.
- Conférence III-VI organisées par la Société anthroposophique de Norvège, dans la salle de fête de l’université.
- Conférence VII à la demande de la Société de théologie.
- Conférence VIII à la demande de la société de sciences politiques, en présence de professeurs et de professionnels, dans la salle de fête de l'université.
Voici les paroles de bienvenue prononcées par le président de la Société de sciences politiques :
« Mesdames, Messieurs, il n'est plus besoin de présenter l'orateur qui va prendre la parole à l'occasion de cette réunion. Cela fait déjà une semaine que Monsieur Rudolf Steiner est dans notre ville. Avec une énergie remarquable et un énorme talent d'orateur il a déjà eu l'occasion d'exposer au cours d'une série de conférences publiques son point de vue sur d'importants domaines de la vie humaine.
A la demande de notre institution, il se propose de nous présenter les orientations sociales qu'il a développées dès 1919. Il les a exposées, comme vous le savez, dans son ouvrage Éléments fondamentaux pour la solution du problème social.
J'ai l'honneur de souhaiter la bienvenue à Monsieur Rudolf Steiner, et je vous remercie, Monsieur, d'être venu ici pour nous donner un aperçu de vos orientations sociales. Je puis vous assurer que nombreux sont ceux qui en Norvège suivent avec intérêt vos initiatives dans ce domaine, à une époque ou de lourds nuages obscurcissent le firmament social.
Plus peut-être que dans le passé, toutes les bonnes volontés doivent s'unir pour trouver une solution aux questions sociales qui surgissent sans cesse. Toute proposition sérieuse, tout plan, tout engagement proposé dans cette direction peut s'attendre à être étudié sérieusement et sans préjugés. Nous nous réjouissons d'entendre comment vous allez développer vos propres conceptions d'une triarticulation de l'organisme social que vous considérez comme la question fondamentale de notre époque. J'ai l'honneur de vous donner la parole. »
Notes de la rédaction
[i] Sous forme de vidéo, ce concept est notamment présenté sous un point de vue différent, ici : https://www.civiliens.info/emission-n-7 - Au sujet de la propriété des moyens de production, visionner aussi : https://www.civiliens.info/emission-n-9 et découvrir la page web Propriété privée ou propriété de l'État ? Capitalisme ou communisme ? Comment pourrait évoluer la propriété ?
[ii] Il faudrait probablement revenir au texte en allemand pour mieux comprendre ce que Rudolf Steiner entend par le terme traduit en français par « coopérative ».
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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- En règle générale, pour parler de l’immortalité, on fait appel au plus subtil des égoïsmes en l'être humain, celui de désirer la vie après la mort
- Idéalisme contre antisémitisme
- L’antisémitisme, une insulte à toutes les conquêtes culturelles de l'époque moderne (Ahasver)
- Un antisémitisme honteux
- Actions de Lucifer et d’Ahriman dans l’être humain. Un concept qui masque l’action d’Ahriman: le «hasard»
- Que se passe-t-il en chaque individu humain lorsqu'il passe par un processus d'initiation et que se passe-t-il pour la terre lors du Mystère du Golgotha ?
- Que requiert la compréhension du Mystère du Golgotha, à l’époque ACTUELLE ?
- L'humanité occidentale actuelle, à la traîne de l'Amérique, sombrera dans la barbarie si elle ne comprend plus le mystère du Golgotha
- On ne peut pas imaginer plus grande tyrannie que celle qui veut refuser l'étude d'un domaine qu'elle n'a elle-même jamais étudié et se refuse à le faire
- Au fond la simple croyance à la réincarnation et au karma ne conduit pas à grand-chose
- Comment l'âme peut-elle surmonter sa détresse présente ?
- Le caractère entièrement public de l’anthroposophie et la nécessaire différenciation entre dilettantes et experts
- Se présenter dans le monde sous le signe de la pleine vérité
- Les deux questions fondamentales à la base de la Philosophie de la Liberté
- Poser clairement le problème de la Liberté : réalité ou illusion ?
- Le penser repose... sur lui-même !
- La théorie de la relativité conduit à faire les premiers pas dans la science de l'esprit... si elle est pensée de manière conséquente
- Un point de vue sur l'évolution spirituelle de l'humanité au cours de la succession des civilisations
- Pourquoi il y a-t-il alternance entre incarnations féminines et incarnations masculines ?
- Spiritualités «d’en bas» versus «d’en haut»: catacombes versus Rome impériale – anthroposophie versus cultures scientifiques et spirituelles extérieures
- « La pensée du cœur » - Clarifications fondamentales
- Le matérialisme a son bien-fondé
- L’humanité est aujourd’hui seulement assez mûre pour comprendre le contenu spirituel de la loi de Karma et de réincarnation
- Le but et la nécessité de la vie alternée entre veille et sommeil, sans laquelle la vie sur la terre ne serait pas possible. Le lien avec le dépérissement du corps.
- Le mensonge, considéré spirituellement est un meurtre. Il est aussi un suicide.
- La «technique» du Karma
- La loi du karma: une loi universelle
- Pourquoi fixer la fête de Noël en hiver… et pas en été ? L’initiation consciente et l’initiation naturelle (notamment pendant les treize nuits de l’hiver)
- La fête de Noël et les trois principes : Le Père, le Fils et le Saint-Esprit
- Trouver l'harmonie entre l'amour entre les humains en général, d'une part, et l'amour de son peuple, d'autre part
- La part de responsabilité anglo-saxone dans la catastrophe de la guerre
- Quelques particularités fondamentales de l’évolution humaine au cours des périodes de civilisation : leur lien avec la maîtrise du corps physique et avec la conscience clairvoyante
- Celui qui perçoit le monde spirituel peut-il avoir une connaissance immédiate de tout (Omniscience) ?
- Pourquoi les communautés humaines ont-elles accordé de l'importance aux fêtes des morts de toute nature ?
- Pourquoi les livres anthroposophiques sont-ils écrits de façon si incompréhensible ?
- Mourir avant ou après l’âge de 35 ans. Quelques particularités des humains morts pendant leur jeunesse
- Le moment de la mort a une importance extraordinaire
- La vie du sommeil serait beaucoup plus active que la vie… de veille ! De quoi s'agit-il?
- Entre la mort et une nouvelle naissance il nous faut acquérir la faculté d’être un être humain dans la vie physique
- Les dangers de l’initiation occulte jésuite et son opposition la plus radicale avec le chemin de connaissance Rose-Croix
- Extraire l'enfant le plus vite possible de l'enfance : un faux principe d’éducation
- Quelques exemples d’impulsions lucifériennes et ahrimaniennes imprégnant la vie sociale
- Confrontations et discordes, comme conséquences de pensées abstraites de la réalité. Un exemple parlant.
- C’est pour acquérir des pensées que nous devons entrer dans la vie terrestre
- Un mensonge, même soutenu dans une bonne intention, agit comme un mensonge
- Si l’on avait une éducation du cœur et pas seulement de la tête, ce serait une source de jouvence
- Jamais il n’y eut, au cours du développement de l’humanité, des concepts et des représentations plus spirituels que ceux que notre science naturelle amène à la surface
- La grande maladie de notre temps, c’est la déclamation d’idées abstraites dénuées de valeur pour la vie réelle
- Charlatanerie et manipulations au sein d'un mouvement dit «spirituel»
- La mort des enfants, des jeunes et des adultes
- Réveil et endormissement sont les deux moments les plus importants pour la relation avec nos défunts
- Du matin au soir nous sommes à moitié endormis. La part endormie partage les mêmes réalités que nos défunts.
- L’être humain se développe au-dessus de la vie de l’État
- L’extorsion de l’initiation par les Césars romains et ses conséquences, à l’antipode du monde grec
- Une intention fondamentale dans toute la littérature anthroposophique: Éveiller l’autonomie des lecteurs
- Une histoire amusante qui montre le côté risible du matérialiste arrogant
- Développer une sensibilité pour la boule de neige qui provoquera une avalanche, alors que la volonté existe de tuer l’anthroposophie
- On cherche à détruire la science de l’esprit. Quelques exemples de cas concrets.
- Que signifie «se libérer de soi-même» pour développer des facultés de connaissance occultes? Quel chemin emprunter pour y parvenir?
- L’étude des réalités des mondes supérieurs, une auto-éducation qui transforme peu à peu l’âme
- Max Heindel, plagiaire notoire de Rudolf Steiner
- Quelle est l’importance du penser, du sentir et du vouloir après avoir franchi la porte de la mort ?
- Après la mort, tout ce dont l’être humain n’a pas le moindre soupçon pendant sa vie se dresse puissamment devant lui
- La relation avec les autres êtres humains après la mort, lors de la traversée du kamaloca. Désirs et convoitises camouflés ont une action d’autant plus intense après la mort
- Ce n’est pas le contenu des mots qui compte mais l’essence de la chose
- Deux expériences essentielles rencontrées très tôt au cours de la vie entre la mort et une nouvelle naissance (ainsi que par l’étudiant en occultisme)
- Penser – Sentir – Vouloir : une courte caractérisation
- Organiser le travail scolaire sur base d’une connaissance intime de l’être humain: exemples
- Ce que nous apprend la science : nous avons évolué en nous débarrassant des formes animales
- Pourquoi les êtres humains ne peuvent-ils plus être intérieurement unis au cours de l’année ?
- L'importance capitale des premiers pas dans la vie pour ce qui est déterminé par le destin
- Après la mort: une conscience incommensurable à atténuer pour pouvoir s’orienter
- Le cerveau en tant qu’appareil réflecteur - L’être humain construit selon les pensées du cosmos
- Une mémoire universelle incarnée : voilà ce qu’est l’être humain
- Tous les matins brille le cirage de la chaussure cosmique, ou la prétention d’avoir un jugement sur la totalité du monde à partir des seules lois de la physique, de la chimie, de la biologie
- Le tarissement des forces spirituelles et la nécessité que de telles forces soient générées par les êtres humains eux-mêmes
- Opposer une vie intérieure puissante aux impressions extérieures: un remède permettant de faire face à l’évolution culturelle?
- Se défendre contre tout ce que la technique a apporté dans la vie moderne? Ce serait commettre la plus grave erreur...
- L’amour que l’on croit porter à quelqu'un, le plus souvent pur égoïsme?
- Comment pouvons-nous contrebalancer consciemment les instincts antisociaux, qui se développent naturellement, par des instincts sociaux ?
- De la confiance que l'on peut avoir dans le penser
- Le processus que nous connaissons plus immédiatement et plus intimement que tout autre processus du monde: notre penser
- Pourquoi la majeure partie de la population reste-t-elle indifférente devant l’accroissement incessant du pouvoir médical ?
- Comment faudrait-il concevoir l’enseignement de l’anthroposophie pour les débutants ?
- Origines occultes du matérialisme de notre époque
- La patience, au sens occulte, est nécessaire pour comprendre la science de l'esprit
- Une différence essentielle entre le Grec et le Romain
- Au sujet de la nature des vérités anthroposophiques
- De la nature abstraite des concepts
- Action matérialisante du cinéma