Note : il n'existe pas une telle union actuellement. Ce "logo" est donc purement virtuel.
Extrait Extrait de l'entretien du 3 janvier 1922
« Bases de la Pédagogie - Cours aux éducateurs et enseignants »,
Rudolf Steiner - Dornach, le 30 décembre 1921
Éditions Anthroposophiques Romandes 1988, GA303
Traduction : Geneviève Bideau
NDLR : Fin 1921, début 1922, des conférences sont données à Dornach à l’attention d’un groupe de personnes provenant d’Angleterre, désireuses de mieux connaître (et mettre en pratique) la pédagogie Waldorf-Steiner. Outre les conférences données par Rudolf Steiner, des questions des participants (et ses réponses) sont rapportées dans cet ouvrage. |
Question : La loi hollandaise permet de fonder une école indépendante lorsqu'on y est sérieusement décidé[i]. Serait-il possible, si nous ne pouvions pas obtenir d'argent en Hollande d'une autre façon, d'édifier une école indépendante avec les subventions de l'État, à la condition que nous puissions être entièrement libres et garder l'enseignement entre nos mains ?
Rudolf Steiner : Dans cette question, il y a un point que je ne comprends pas bien, un autre qui me paraît douteux. Je ne comprends pas bien que l'on ne puisse pas trouver d'argent en Hollande pour une école véritablement libre. Pardonnez-moi, c'est peut-être naïf de ma part, mais je n'arrive pas bien à comprendre cela. Car il me semble tout de même que si l'enthousiasme est assez grand, il est alors possible tout au moins de commencer. Il n'y a pas besoin de tant d'argent que cela pour commencer.
Le deuxième point qui me paraît douteux c'est qu'on puisse réussir à le faire avec des subventions de l'État. Car que l'État se laisse[1] enlever l'exercice de son droit de regard sur l'école s'il donne des subventions c'est cela qui me paraît bien douteux. Je ne crois donc pas qu'on puisse fonder une école véritablement libre avec des subventions, c'est-à-dire sous la surveillance de l'État. Ce fut aussi à Stuttgart un coup de chance, aimerais-je dire, que l'École Waldorf ait été fondée tout juste avant que l'Assemblée nationale de la République ait adopté une loi scolaire sous l'égide de laquelle la fondation d'une telle école était impossible, car, n'est-ce pas, nous perdons toujours plus de liberté à mesure que le libéralisme se répand. Et il est probable qu'aujourd'hui, où le progrès règne en maître en Allemagne, l'École Waldorf de Stuttgart ne pourrait précisément plus être fondée. Mais elle a été fondée avant. Et maintenant - voici que le monde a aujourd'hui les yeux sur l'École Waldorf et on la laissera subsister jusqu'à ce que le mouvement qui a créé ce qu'on appelle l'école élémentaire soit assez fort pour qu'on lui enlève au nom d'un fanatisme quelconque ses quatre premières classes. J'espère que nous pourrons l'empêcher, mais nous allons dans ce domaine aussi vers des temps terribles. Et c'est pourquoi j'insiste aussi fréquemment sur le fait qu'il est nécessaire de faire sans tarder ce qui doit avoir lieu ; car il se répand sur le monde une vague qui va tout à fait dans le sens de l'État coercitif. Et il en est réellement ainsi que la civilisation occidentale s'expose au danger d'être un jour tout simplement submergée par une civilisation plus ou moins asiatique qui aura alors quelque chose de spirituel. Cela, les hommes ne veulent pas le voir, mais les choses en viendront jusque là.
N'est-ce pas, la chose en est seulement plus ou moins retardée lorsqu'on croit pouvoir tout d'abord faire appel aux subventions de l'État. Pour ma part, je n'en attendrais pas grand-chose. Mais quelqu'un a peut-être une autre opinion. Je vous prie d'exprimer aujourd'hui très librement toutes vos opinions.
X expose qu'il n'est pas actuellement possible de fonder une école en Hollande sans que l'État s'en mêle, qu'il est par exemple exigé qu'on ait atteint un certain niveau de connaissances, etc.
Rudolf Steiner : N'est-ce pas, si ces choses n'existaient pas, je ne me serais en fait jamais décidé autrefois à quelque chose comme l'Union mondiale des Écoles {NDLR : l’Union mondiale des Écoles dont parle ici Rudolf Steiner ne semble pas du tout être une Union mondiale des Écoles Waldorf-Steiner, mais une Union mondiale des Écoles libres, indépendantes du vouloir politique} qui a tout de même un aspect un peu théorique. Mais, précisément parce que ces choses existent, j'estimais que l'Union mondiale des Écoles serait tout d'abord une réalisation pratique. Voici ce qu'il en est :
Prenez par exemple la petite école que nous avons eue ici à Dornach. Pour la raison que j'ai déjà fréquemment évoquée tous ces jours, à cause de notre surabondance de pénurie d'argent, nous n'avons réussi à avoir qu'une toute petite école. Dans cette petite école se trouvaient réunis des enfants qui avaient moins de dix ans et d'autres qui avaient plus de dix ans. Or il existe dans l'État, que l'on appelle ici Canton, de Soleure une loi scolaire très stricte, mais qui ne diffère guère des autres lois scolaires strictes appliquées généralement en Suisse, une loi scolaire si stricte que lorsque l'État de Soleure découvrit qu'on enseigne ici à des enfants âgés de moins de quatorze ans, il décréta tout uniment que c'était impossible. Cela n'existe pas. Et on pourrait bien faire tout ce que l'on voudrait, on ne pourrait jamais parvenir à réaliser quoi que ce soit d'une idée d'École Waldorf pour des enfants de moins de quatorze ans. Et la chose rencontre des résistances naturellement partout, tout au moins sur le continent. Ce qu'il en est en Angleterre, je ne me permets pas pour l'instant d'en juger entièrement ; mais s'il pouvait être possible de fonder là-bas une école qui soit vraiment absolument libre, ce serait une chose tout à fait excellente. Et parce qu'en réalité on rencontre des résistances partout où l'on aborde la réalisation pratique des écoles, j'ai pensé que l'Union mondiale des Écoles était pour un premier temps une réalité pratique, car je la voyais en grand, parce qu'elle créerait un mouvement d'opinion dans le monde précisément quant à la possibilité de fonder des écoles libres. C'est-à-dire qu'il fallait aller contre le courant qui atteint son apogée précisément dans le bolchévisme russe, qu'il fallait aller contre ce courant qui atteint son apogée dans l'école absolument coercitive d'État, mais qui existe partout; car on ne voit pas que Lounatscharsky[2] n'est que l'ultime conséquence de ce qui est présent potentiellement partout en Europe ; aussi longtemps que cela convient, on ne voit pas que cela est présent ; - j'estime donc qu'il faudrait inaugurer un mouvement qui aille dans une direction opposée : Lounatscharsky veut absolument faire de l'État une grande machine dont l'être humain serait une partie. L'autre mouvement devrait tendre à éduquer des êtres humains.
C'est ce qui est nécessaire. Voyez-vous, on fait réellement dans ce domaine des expériences extrêmement douloureuses dans le mouvement anthroposophique. Il est vraiment possible aujourd'hui de faire naître également un véritable mouvement médical. Toutes les conditions sont réunies. Mais ce qui serait nécessaire, ce serait là aussi un mouvement qui puisse porter la chose devant le monde. Mais on rencontre partout chez ces gens une autre tendance, celle de faire passer pour « charlatan » celui qui veut proposer d'une façon ou d'une autre une médecine plus humaine, en exigeant aussi de lui qu'il agisse à l'encontre de la loi. Je pourrais vous nommer par exemple - je ne donne là qu'un exemple, cela ne se rapporte absolument pas au mouvement médical de l'anthroposophie - mais je pourrais vous nommer un ministre qui a défendu devant le Parlement allemand une loi sévère contre la liberté des professions de santé qui subsiste encore en Allemagne et qui est allé trouver des guérisseurs non diplômés pour faire soigner sa propre famille. Ceci signifie qu'il ne croyait pas à la médecine officielle pour sa propre famille mais à ceux qu'il voulait maintenant faire désigner par la loi du terme de « charlatans ».
Voici bien un symptôme de tendance sectaire. Un mouvement n'est pas sectaire lorsqu'il s'efforce de se présenter devant le monde de façon entièrement libre et même en étant pleinement en accord avec la loi si bien qu'on ne peut pas mettre en doute sa justification légale.
Telle était la tâche que j'avais imaginée pour l'Union mondiale des Écoles : créer un mouvement d'opinion en faveur de lois qui permettent de fonder des écoles à partir de nécessités pédagogiques. Des écoles ne peuvent jamais être fondées à partir de résolutions prises à la majorité. C'est pourquoi elles ne peuvent pas non plus être des écoles d'État.
Voici donc ce que j'estime avoir à dire sur cette Union mondiale des Écoles qui ne m'est par ailleurs pas du tout sympathique. Elle ne m'est pas sympathique parce que c'est une association, une propagande, je préfère de beaucoup l'agir à partir d'un élément objectif et non pas l'agitation, la propagande. Ce sont là pour moi des choses effroyables. Mais quand on est pieds et poings liés, quand il n'est précisément nulle part possible de fonder des écoles libres, il faut bien tout d'abord créer un mouvement d'opinion qui rende ces écoles libres possibles. Des compromis peuvent naturellement être justifiés dans tel ou tel domaine, mais nous vivons aujourd'hui à une époque où chaque compromis nous enfonce toujours davantage dans le malheur.
Rudolf Steiner
[Texte en gras ou souligné : SL]
Notes
[1] Le texte porte ici un « nicht » que nous supprimons, en accord avec l'éditeur de l'édition allemande, car le sens demande à l'évidence sa suppression. L'éditeur allemand a l'intention de le supprimer lors de la prochaine réédition. (N. d. T.)
[2] Anatole Vassiliévitch Lounatcharsky,1875-1933, écrivain russe et homme politique ; de 1917 à 1929 commissaire du peuple pour la culture prolétarienne.
Notes de la rédaction
[i] Pour rappel, nous sommes en 1922.
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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