Extrait de la septième conférence du livre
« Bases de la Pédagogie - Cours aux éducateurs et enseignants »,
Rudolf Steiner - Dornach, le 29 décembre 1921
Éditions Anthroposophiques Romandes 1988, GA303
Traduction : Geneviève Bideau
(...) Quand l'enfant a atteint les deux ans et demi environ, son organisation de la tête en est arrivée au point où la partie du corps de forces formatrices du corps éthérique, qui est occupée pendant ces premières années de l'enfant à modeler cette tête se libère. Et cette libération rencontre un autre processus de libération qui se produit peu à peu et concerne jusque vers la cinquième année le corps éthérique de la poitrine. La respiration, la circulation sanguine se libèrent alors jusqu'à un certain point des forces éthériques qui se trouvaient encore en elles. Et en l'enfant qui a maintenant appris à parler, qui a appris à marcher, on voit alors unir leur action : ce qui s'est libéré de l'organisme de la tête sous forme de forces psycho-spirituelles et qui vient vibrer en harmonie avec ce qui se libère peu à peu dans l'organisme de la poitrine. Et ceci apparaît dans la formation spécifique de cette mémoire enfantine vivante que l'on voit précisément se développer du milieu de la troisième année jusqu'aux environs de la cinquième année et qui agit surtout dans ce que je viens de vous décrire : la formation, le développement de cette si singulière imagination enfantine.
Cette interaction entre la mémoire modelée par les forces de l'âme et l'imagination modelée par les forces de l'âme doit être tout particulièrement prise en considération par le maître et éducateur en cette période de la vie. Car l'enfant est et reste un être d'imitation. Et, en particulier en ce qui concerne la mémoire en formation, la faculté du souvenir, il faut être au clair sur le fait que l'on doit autant que possible s'en remettre à l'enfant lui-même, que l'on ne fait pas bien d'apprendre quelque chose à l'enfant pendant cette période de la vie en escomptant qu'il s'en souvienne. Il doit assimiler ce dont il veut se souvenir en se dirigeant de façon entièrement libre vers ce dont il veut se souvenir. Surtout ne rien faire à cet âge avec l'enfant qui ressemble de près ou de loin à des exercices de mémoire ! Celui qui impose à un enfant entre la deuxième et la cinquième années quelque chose qui tend à cultiver la faculté d'attention et de mémoire ne tient pas compte d'un aspect que l'on peut observer quand on considère le cours de la vie tout entière.
On rencontre bien des gens qui vous disent, lorsqu'ils ont atteint quarante ans ou plus, qu'ils ont mal dans les jambes ou dans les bras, qu'ils ont des rhumatismes. Cela peut certes provenir de toutes sortes de causes : mais il existe tout à fait des cas où, si l'on poursuit assez loin l'examen des causes, on en vient à constater que ces rhumatismes, ces douleurs dans les membres, proviennent d'une surcharge de la mémoire dans ces premières années de l'enfance.
Il faut bien dire que les liens entre les phénomènes de la vie sont vraiment très compliqués et que seul celui qui prend la peine de chercher à connaître ces liens entre les phénomènes de la vie peut aussi développer en soi, qu'il veuille être éducateur ou en général guider l'être en devenir, l'amour véritable qui est pourtant bien le meilleur et même le seul moyen d'éducation.
Mais il faut aussi bien prendre soin de l'imagination enfantine, car elle veut s'appliquer à des objets extérieurs, à savoir les jouets ou tous les jeux avec d'autres enfants. Tout ce que l'enfant cherche à faire dans le jeu, c'est de mettre en œuvre cette forme particulière d'imagination qu'il possède entre deux ans et demi et cinq ans. Celui qui a une sorte de don d'observation pour ces choses peut prévoir, d'après les tendances particulières que l'enfant développe pendant qu'il joue, bien des aspects de sa disposition d'âme ultérieure, de son caractère etc. ; dans quelle mesure un être humain se montrera compétent dans telle ou telle direction, on peut le lire dans la façon dont l'enfant joue. Il s'agit seulement qu'on acquière réellement la compréhension de ce que l'on doit apporter au fond comme nourriture à l'imagination de l'enfant. Les différentes époques le font selon les façons particulières dont elles comprennent cela.
Je ne sais pas s'il en est également ainsi à l'Ouest, mais en Europe du Centre surgit à une certaine époque une véritable épidémie : on faisait cadeau à tous les enfants de boîtes de constructions, tout particulièrement au moment de Noël. Ils devaient construire une horreur quelconque en assemblant différentes formes de cubes, des éléments isolés en forme de parallélépipède. C'est une chose qui agit vraiment très profondément sur l'enfant à cet âge, précisément sur l'évolution de l'activité imaginative, car cela développe le sens de l'atomisation, du matérialisme, cela développe la faculté de constituer un tout à partir d'éléments isolés, alors qu'on agit dans le sens de la véritable vie pratique lorsqu'à cette époque on favorise non la faculté intellectuelle, la faculté d'assembler les éléments, la faculté de construire à partir d'atomes, mais l'imagination intérieurement vivante et active de l'enfant qui vient tout juste d'abandonner ce qui est un travail tout aussi actif, intérieurement tout aussi vivant : modeler de manière plastique le cerveau. Il faut donc tenter le moins possible de faire entrer cette imagination dans des formes aux contours rigides et achevés.
Supposons que nous avons deux éducatrices qui doivent éduquer des enfants de deux ans et demi à cinq ans. L'une d'elles - il se peut qu'elle aime beaucoup l'enfant - donne à celui-ci, pour peu que ce soit une fillette, une poupée, une « belle poupée », avec, si possible, non seulement les joues peintes ou des cheveux, mais qui a peut-être de plus les yeux qui bougent, qui bouge la tête : je crois même que certaines poupées parlent. Elle donne donc cette poupée à l'enfant. L'enfant n'a plus rien à produire à partir de son imagination qui aspire à rencontrer quelque chose de mobile. On enferme toute cette imagination entre les barreaux étroits d'une forme qui est de surcroît une horreur. L'autre éducatrice, qui est peut-être un peu plus sensée, prend un vieux chiffon que l'on ne peut plus utiliser à rien d'autre, fait en haut un nœud avec un bout de fil pour faire apparaître quelque chose qui ressemble à une tête, fait éventuellement dessiner par l'enfant deux points noirs ou d'autres points encore qui figurent les yeux, le nez, et la bouche, et l'enfant - parce que cela stimule son imagination, parce qu'il peut encore en faire quelque chose, parce que cela n'enferme pas son imagination dans des formes, des contours précis, a ainsi intérieurement une vie bien plus active, encore bien plus intime qu'avec la prétendue belle poupée. Les jouets doivent laisser autant qu'il est possible libre cours à l'imagination. Et comme l'intellect n'est pas l'imagination, assembler toutes sortes de choses n'est pas précisément ce qui convient à la qualité particulière de l'imagination enfantine à cet âge.
Ce qui suscite le sentiment d'une vie intérieure est toujours préférable. Un livre d'images, par exemple, ayant des personnages découpés, non pas laids, mais peints avec goût, que l'on peut faire bouger par en bas grâce à des fils, si bien que ces personnages accomplissent toutes sortes d'actions, échangent des caresses ou des coups et que l'enfant peut faire naître pour lui, à partir de ce qu'il y voit, des drames entiers, est un jouet extrêmement bon pour un enfant. Et les jeux libres où les enfants évoluent librement entre eux ne doivent pareillement pas être trop strictement enfermés dans des cadres, mais aller autant que possible dans le sens de la libre imagination de l'enfant. Comme vous le voyez, ceci découle d'une véritable connaissance de l'être humain et on assimile ce qui est nécessaire aussi pour la pratique de la vie lorsqu'on est dans un véritable travail d'enseignement et d'éducation. (...)
Rudolf Steiner
[Texte en gras : SL]
Note de la rédaction À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser allant dans quelques cas, jusqu'à des inversions de sens ! |
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