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 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • "Lorsqu'on est intellectuel, on se croit souvent très intelligent, et on croit l'enfant terriblement borné. Mais en apprenant peu à peu à bien voir le monde, on acquiert le jugement inverse, et l'on aperçoit combien on est devenu bête depuis son enfance. Seulement, l'intelligence que l'on a acquise depuis est consciente. Mais la sagesse avec laquelle l'enfant fait le choix que nous avons décrit entre ce qu'il doit assimiler en fonction de ce qu'il a vécu dans ses existences précédentes, et ce qu'il doit rejeter dans l'éthérique universel, cette sagesse est infiniment plus grande que celle que nous acquérons plus tard."
    Christiana (Oslo), 19 mai 1923 - GA226

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Schieren pt
Recension de l’ouvrage d’Heiner Ullrich : Pédagogie Waldorf. Une introduction critique, 182 pages. Beltz-Verlag — Weinheim, Bâle 2015. 24,95 €

Jost Schieren

Département de pédagogie
Université Alanus pour l’art et la société, Alfter, Allemagne

RoSE - Research on Steiner Education Vol.6 — août 2015; pp.103-108 - PDF
Traduction : Daniel Kmiecik
Source : Les traductions de Daniel Kmiecik − www.triarticulation.fr/AtelierTrad


 

Le pédagogue scientifique Mayençois, Heiner Ullrich, s’occupe depuis plus de trente ans de l’école Waldorf. Dans son mémoire de thèse de l’année 1986, « Pédagogie Waldorf et conception occulte du monde ». Une confrontation philosophique de l’éducation avec l’anthropologie de Rudolf Steiner » (Ullrich 1986), il s’explique déjà avec les bases anthroposophiques de la pédagogie Waldorf. Dans les publications suivantes, il s’approche de la pédagogie Waldorf par le côté de la recherche empirique (voir Ullrich 2004 & 2007). À l’occasion du 150ème anniversaire de Rudolf Steiner, il publia une biographie de Steiner (Ullrich 2011). Heiner Ullrich est l’un des meilleurs connaisseurs académiques de la pédagogie Waldorf, dont l’ensemble de sa recherche reflète une proximité critique d’avec cette pédagogie. Son jugement est bien entendu ambivalent. Dans sa plus récente publication, il prise d’un côté, la réussite pratique de la pédagogie Waldorf : « Les écoles Waldorf peuvent [dürfen : sont autorisées, ndt] foncièrement passer pour couronnées de succès. (p.172) De l’autre, il conserve un contrepoids à ce témoignage d’une pratique reconnue, sur la base d’une empreinte de conception du monde sur la pédagogie Waldorf : « Ces fondements globaux sont l’image de l’être humain et la manière de voir le monde de l’anthroposophie de Rudolf Steiner.  Celles-ci ne déterminent pas seulement la méthode d’enseignement et d’éducation, mais encore, en se référant aussi les uns aux autres, d’une multiple manière, les contenus du plan d’étude et les sujets de l’instruction donnée. Aucune autre des réformes pédagogiques provenant de la culture scolaire n’est imprégnée dans une mesure aussi élevée d’une philosophie du monde que la pédagogie Waldorf ». (p.173) Celle-ci est la critique principale d’Ullrich adressée à la pédagogie Waldorf, qui est maintes fois répétée dans son « introduction critique ». C’est pourquoi il est important pour lui d’exposer que l’anthroposophie, non seulement se trouve à l’arrière-plan d’un mouvement pédagogique positif en soi, mais encore qu’elle imprègne celui-ci en dominant toutes ses formes d’apparition. Pour rendre visible la véhémence, par laquelle Ullrich juge cette problématique de philosophie du monde sur la pédagogie Waldorf, on va citer le passage suivant plus long :

« Lors de l’exposition de la spécificité de l’école Waldorf, il s’est révélé en de nombreux points quelle grande importance y possède la vision du monde anthroposophique. Qu’il soit fait souvenir, en particulier, de l’architecture scolaire, organisée d’après l’être/essence de l’être humain, du statut collégial de l’école s’orientant d’après la Dreigliederung sociale, du système des tempéraments en œuvre dans le travail du professeur de classe, qui se réfère au développement en périodes septennales et au quatre composantes des forces de nature essentielle de l’être humain, de la structuration méthodique des enseignements en époques, présupposant les réincarnations [au travers de l’assimilation, ndt] nocturnes,  du plan scolaire fondé sur une histoire de la conscience civilisationnelle progressante et des enseignements dans les sciences de la nature, reposant sur l’affinité essentielle entre être humain et nature et soutenus par des cours goethéanistes et alchymistes. Et avec quelques brèves excursions — dans la pédagogie Waldorf des jardins d’enfants — il apparaît que prennent de l’importance, par exemple pour la maturité scolaire, le système de développement septennal et l’idée de la réincarnation transparaissant dans la grande importance accordée aux contes. Cette dernière acquérant toute sa grande signification pour la compréhension du retard/handicap dans la pédagogie curative anthroposophique. Selon tout cela, on peut retenir que l’anthroposophie, ou selon le cas, la science de l’esprit, fournit la clef générale pour la compréhension [Verstand, intellectuelle, donc, ndt] du programme et de la pratique de l’ensemble de la pédagogie Waldorf. Le fondateur de l’anthroposophie et jusqu’à aujourd’hui, le seul et unique Führer[guide, ndt], faisant autorité pour sa communauté d’adeptes dans sa conception du monde, en est Rudolf Steiner (1861-1925). » (p.91).

Selon Ullrich, la pédagogie Waldorf est donc de bout en bout idéologiquement déterminée par l’anthroposophie, à l’occasion de quoi le concept de Führer, auquel il a recours dans la phrase conclusive ci-dessus, n’est plus guère employé aujourd’hui d’une manière neutre en Allemagne et, dans cette mesure, cela se lit que trop nettement comme une valeur frisant la réprobation. La publication de Heiner Ullrich peut valoir de nouvelle « Prange ». Le scientifique de l’éducation, Klaus Prange, a déterminé le jugement  scientifique pour l’éducation critique sur la pédagogie Waldorf par son ouvrage paru en 1985 : « Éducation à l’anthroposophie ». Ullrich se place dans cette tradition, bien entendu sans tomber dans le ton agressif de mise en défense vis-à-vis d’une conception du monde et sans la ferveur missionnaire des mises en garde à l’encontre d’un endoctrinement sous-jacent qui imprègne maintes parties des écrits de Prange. Ullrich diagnostique une influence massive de la conception du monde de la pédagogie Waldorf aux plans personnel (par l’état d’esprit des enseignants), des contenus (curriculum) et méthodique-didactique (image de l’être humain).

L’ouvrage d’Ullrich est pourtant ambivalent vis-à-vis de Prange : il estime positive l’éducation esthétique et humaniste de la pédagogie Waldorf, qui est référée à l’expérience et aux sens, selon le cas, entraînant une obligation personnelle, car elle se voit astreinte à un idéal éducatif élevé. Des aspects comme la décélération, l’appréciation de la valeur de la personnalité individuelle de l’élève et les relations personnalisées entre l’enseignant et les élèves sont reconnus par lui. D’un autre côté, il pourchasse bien entendu la contiguïté décidée par lui et en dégage l’anthroposophie comme déterminante, dans la pédagogie Waldorf,  au plan de la philosophie sur le monde. À la différence de Prange, Ullrich ne surgit pas avec la revendication d’avertir d’un danger, mais purement et simplement, au contraire, avec celle d’une clarification. Ceci se révèle de manière exemplaire dans sa résistance loyale à l’encontre du racisme imputé à l’anthroposophie : « Que Steiner n’était pas le raciste antisémite, que font aujourd’hui volontiers de lui ses critiques polémiques, le documente tout particulièrement le fait que de nombreux Juifs furent membres de la Société anthroposophique et qu’ils purent le rester à part entière aussi jusqu’à l’interdiction de celle-ci par le national-socialisme. » (p.147) Néanmoins, le problème de la pédagogie Waldorf, c’est l’anthroposophie.  Ce qu’il critique en elle est résumé (pp.143 et suiv.), dans les points suivants:

  • Elle serait mystique et au cœur non-scientifique.
  • Des limites de compréhension intellectuelle [Verstand] y seraient franchies de manière non-critique.
  • Elle serait une forme de gnose qui fait cesser la différence entre savoir et croire.
  • Elle serait menée par une volonté « en direction d’une totalité du savoir ».
  • D’autres aspects critiques sont la libération de la personnalité humaine hors de sa limite et la revendication cognitive au lieu de faire acte d’une modestie de soi.
  • Il souligne la non-liberté du connaître, étant donné que dans l’intuition proclamée par Steiner, le penser humain se soumet au penser du monde ou selon le cas dans l’individualisme éthique du planuniversel (pp.129 et suiv.)[1].
  • Des contraintes causales sont mises en relief dans la compréhension du Karmaet de l’idée de la réincarnation (p.110).
  • Cela en arrive en outre à des jeux de mot légèrement désavouant, attendu que des anthroposophes, qui explorent un monde spirituel derrièrele monde apparaissant aux sens, sont décrits comme des « Hinterweltler» [quelque chose comme : « derrière-mondistes » mais cela se discute, bien entendu, ndt] (p.127).

La critique de l’anthroposophie (et non pas celle de la pédagogie Waldorf) apparaît comme l’agent central d’Ullrich. À l’occasion, il en appelle en partie aux formes foncièrement problématiques d’une pédagogie Waldorf sur-influencée par l’anthroposophie :

  • L’eurythmie est décrite comme une « forme artificielle élevée de danse spirituelle » (p.78). Comme démarcation au ballet, il formule avec suffisance : « Au lieu de cela les eurythmistes dansent des chorégraphies complexes, sur une langue pathétiquement déclamée ou une musique, sans contact corporel et dans des tuniques flottantes enveloppées de voiles avec un visage  presque immobile, lors desquelles ils accomplissent, face au public, des mouvements aussi enchevêtrés que mollement coulant avec leurs bras. » (p.77).
  • Les considérations végétales physionomiques, caractérisées ainsi par Ernt Michael Kranich (Kranich, 1986) sont vues comme un problème. Aux plantes particulières y sont attribuées des qualités d’âme : au crocus, la nostalgie, à l’anémone des bois [anémone Sylvie, ndt] l’étonnement, à l’iris le désir, à la campanule la foi, au colchique, la tristesse (voir, p.73). De tels repérages qui sont en soi des processus d’expérience esthétique agissent effectivement d’une manière manifeste dans la conception du monde, d’autant plus lorsqu’elles surgissent en tant que formes des enseignements de sciences naturelles. 
  • D’après Ullrich la relation de huit ans, entretenue par l’enseignant et sa classe d’élèves, trouve sa motivation dans le concept du Karma : « Pour ses résolutions, il (le maître de classe) a besoin d’un discernement dans le Karma des élèves et doit pour cette raison se relier aux élèves d’une manière particulièrement étroite au moyen de la méditation et d’autres pratiques cognitives. » (p.48) Le maître de classe est décrit comme un « monarque didactique pré-moderne » (p.46).
  • Ullrich diagnostique en outre maintes remarques abusives [übergriffigkeiten] dans les livrets scolaires et les considérations portées sur les élèves de la part de l’école Waldorf.

 

La critique d’Ullrich — justification et limite


Ullrich présente l’anthroposophie comme un système métaphysique fermé, avec des affirmations dogmatiques (celle qui proviennent du savoir d’initié de Rudolf Steiner et sont conséquemment invérifiables) et mystiques ou selon le cas, des formes cognitives pré-scientifiques, agissant une à une dans la pédagogie Waldorf et certes aussi bien dans les contenus (goethéanisme, orientation religieuse), que dans les méthodes et principes didactiques à la manière d’une conception du monde. Il a probablement raison, là où des pédagogues Waldorf « à cœur ouvert » et quelque peu par excès de zèle, mettent à profit l’école Waldorf comme un lieu de réalisation de leurs ardentes aspirations ésotériques et mission de sauvegarde du monde. Cette espèce est assurément de moins en moins répandue. Certes, il y avait et il y a encore une compréhension plutôt dogmatique de l’anthroposophie qui continue d’agir, sans frein et vise essentiellement à acquérir un habitus d’enseignant méditatif et qui soutient donc des formes de réception vraiment non-critiques, le cas échant et aussi non libres. Et d’une manière naturelle, de tels aspects méditatifs d’apprentissage agissent aussi sur la quête du sens productif de jeunes êtres humains et les poussent hors du désert d’âme des administrations universitaires normales dans ces oasis de sens des univers Waldorf où règne une chaleur sociale. Mais l’orientation scientifique fondamentale de la pédagogie Waldorf n’est plus remise aujourd’hui en cause par les représentants décisionnels des écoles Waldorf. Ullrich concède cela, lorsqu’il écrit, que de plus en plus de tentatives sont faites afin de « de traduire les contenus cognitifs, esthétiques et éthiques de la pédagogie Waldorf, tirés des sphères spirituelles anthroposophiques, dans le langage séculaire spécialisé de la science de l’éducation » (p.173). Bien entendu, il ne cite pas la littérature correspondante (par exemple Paschen 2010, Frielingsdorf 2012 et de nombreuses contributions dans le peer reviewed Oneline-journal [articles revus par un comité de lecture formé par les pairs, bref, c’est du sérieux ! ndt]« RoSE Research on Steiner Education), abstraction faite des résultats des découvertes empiriques récentes publiées par Dirk Randoll et Heiner Barz (Randoll 2013, Liebenwein/Barz/Randoll 2012, Barz/Randoll 2007, Barz 2013), Katharina Kunze (Kunze 2011), Till-Sebastian Idel (Idel 2007) et d’autres.

La compréhension de l’anthroposophie de Ullrich est fortement d’imprégnation théosophique, c’est-à-dire qu’il interprète l’enseignement de Steiner comme étant situé au cœur d’une prétention explicative du monde de nature révélatrice, métaphysique et absolue. Ici Ullrich se retrouve en accord avec Helmut Zander qui, dans son opus magnum, d’à peine deux mille pages : « Anthroposophie en Allemagne » (Zander 2007) donne de la force à cette ligne d’interprétation. Avec cela tous deux se retrouvent dans la bonne société d’un grand nombre d’anthroposophes bienveillants, qui favorisent justement cette représentation de l’anthroposophie dans la pédagogie Waldorf. Que Steiner lui-même a propagé une autre anthroposophie et l’a aussi développée malgré des résistances venant de ses propres rangs, est un fait à l’occasion négligé. Il est caractéristique que dans son œuvre tardive, dans des conférences isolées des années 1920/21, Seiner soit revenu sur les amorces philosophiques de ces écrits précoces, en soulignant l’aspect phénoménologique de l’anthroposophie : « La phénoménologie c’est l’idéal de l’aspiration scientifique qui se présente dans l’anthroposophie ». (Steiner 2005, p.318) Concevoir l’anthroposophie comme une phénoménologie et conformément à cela, la critiquer cognitivement et la traiter scientifiquement, représente un modus [operandi , ndt]de réception complètement différent, que celui qui s’est mis en place tout au long de ces cents dernières années, aussi bien par de nombreux défenseurs comme par des critiques comme Ullrich et Zander et qui a mené à la formation de fronts idéologiques correspondants. Ici, il s’agit d’une autre culture de la réception. Il n’existe actuellement aucun doute, chez des représentants officiels de la pédagogie Waldorf, que sont indispensables, d’une part, un accent complètement différent et d’autre part, une discussion capable de les relier sur les fondements théoriques de la pédagogie Waldorf. Ceci ne représente aucune opposition à l’anthroposophie, au contraire, c’est même redevable à la revendication cognitive de celle-ci puisqu’elle est, pour le préciser, un objet de confrontation cognitivement orientée et auto-critique au sein d’un continuum rationnel[2].

La radicalité du concept cognitif de Steiner n’est d’ailleurs pas thématisée par Ullrich, ni par de nombreux anthroposophes. Ce que Steiner avait à cœur, consiste, dans une continuation de l’impulsion des Lumières, à encourager l’exigence de liberté de l’individualité consciente et active d’elle-même dans son penser. Rien{uniquement - ndlr} que dans l’accomplissement individuel du penser, surgit, selon Steiner, la personnalité humaine hors des contraintes causales de ses états de dépendance historique, biographique, psychique, culturel et, le cas échant, aussi karmique. Elle y est vulnérable, ouverte au processus et faillible, comme cela est bien la marque de notre époque. La liberté n’est donc pas quelque chose de déjà atteint ou selon le cas — comme l’interprète Ullrich —dans un penser universel supra-ordonné et anéantissant (voir pp.130 et suiv.), mais au contraire elle est à la fois possibilité, danger et espoir. La radicalité de Steiner va si loin que même la conscience religieuse du monde spirituel, préétablie et adoptée, se dissout elle-même dans le penser individuel. Steiner surmonte le réalisme naïf aussi bien vis-à-vis du monde physique que vis-à-vis d’un monde spirituel possiblement accepté. Steiner est un rationaliste critique aussi bien dans le sensible que dans la suprasensible.

 

Le problème de conception du monde de la pédagogie Waldorf


Steiner s’est au reste positionné lui-même contre une influence de conception du monde de la pédagogie Waldorf : « Ce domaine pédagogique est traité de manière telle que seules les méthodes pédagogiques, les méthodes didactiques, dans le meilleur sens du terme, doivent en être dégagées à partir du mouvement anthroposophique. L’école Waldorf de Stuttgart, dans laquelle cette pédagogie et cette didactique viennent en usage, n’est en rien une école sectaire, elle n’a rien d’une école dogmatique, rien de ce que le monde souhaiterait volontiers désigner comme une école anthroposophique. Car nous n’apportons pas de dogmatisme anthroposophique dans l’école, au contraire, nous essayons de façonner les méthodes purement didactiques-pédagogiques de manière à ce qu’elles soient universellement humaines [allgemein menschlich]. » (Steiner 1991, p.172) En conséquence, Steiner était foncièrement conscient de la problématique d’une anthroposophie grevée par le dogmatisme et il a procédé, en particulier pour ce qui s’applique à la pédagogie Waldorf, à faire une nette démarcation. Dans une autre harangue, cela veut dire en correspondance : « Cet universellement humain dans la nature de l’enseignement et de l’éducation, que je devais caractériser pour les plus diverses branches d’enseignement, cela doit particulièrement vivre à fond dans le principe de l’école Waldorf, de sorte que cette école Waldorf n’est en aucune tendance une école religieuse philosophique ou bien une école d’une conception du monde déterminée. Et dans cette direction, il était naturellement indispensable, précisément pour une école publique [traduction précise du terme Schulwesen, ici au sens donné par le dictionnaire Bertaux Lepointe de 1941, ndt] qui s’est développée à partir de l’anthroposophie, de travailler en outre, au surplus, de sorte que cette école Waldorf […] soit, dés à présent, très éloignée de devenir, par exemple, une école d’anthroposophes ou une école anthroposophique.  Elle ne peut certainement pas être cela [au sens d’une interdiction morales, ndt]. On voudrait dire : « Chaque jour, de nouveau, on s’efforce en conséquence, […] non pas d’une quelconque manière au moyen du zèle d’un enseignant, ni au moyen de la conviction honorable, laquelle cela va de soi existe chez les enseignants de l’école Waldorf à l’égard de l’anthroposophie, […] de ne pas tomber d’une quelconque manière dans un point de vue anthroposophique exclusif. De l’être humain, non pas de l’homme d’une conception du monde déterminée, c’est de cela qu’il doit être purement et uniquement question pour le principe de l’école Waldorf. » (Steiner 1986, pp.203 et suiv.) Cette obligation librement acceptée de s’efforcer à la neutralité en matière de philosophie du monde, quoiqu’elle soit entièrement convertible en aucun système et éloignée d’une manipulation de l’anthroposophie dans la pédagogie Waldorf, a été perdue de vue par Ullrich.

 

Conclusion

Ullrich est astreint, dans ses écrits, au concept scientifique, à savoir à prendre en considération la science comme un processus ouvert et non clos. Il n’y a absolument aucune revendication de vérité qui soit poursuivie dans son système de penser. Au centre, se trouve la réflexion auto-critique et le caractère vérifiable par l’intersubjectivité. Or ce concept de science peut aussi être pleinement partagé, dans une perspective anthroposophique ou, selon le cas dans la pédagogie Waldorf. On doit réfléchir ici néanmoins au fait que la compréhension scientifique actuelle est, par dessus le marché, fortement imprégnée de matérialisme et de réductionnisme. Ulrich se tourne d’une manière critique contre cette abstinence scientifique de l’anthroposophie, jugée comme telle par lui, or, d’une manière tout aussi remarquablement non-critique, il a recours cependant à une compréhension scientifique actuellement à la fois imprégnée d’une conception de l’être humain matérialiste et réductionniste et cela dans les orientations d’agissements de la politique éducative servant en outre de purs intérêts économiques (voir Krauts 2007). L’anthroposophie, dans sa sollicitation fondamentalement humaniste et orientée sur la liberté, est fortement critiquée par lui et l’image de l’être humain technocratique-économique, qui provient d’un concept de science et de formation positiviste, se voit nonobstant incontestablement acceptée à fond par lui. L’idée d’une personnalité spirituelle autonome n’est pas vue par Ullrich dans l’anthroposophie : il n’y voit qu’une construction métaphysique déterminante. Avec cela il rate ce qui repose au cœur même d’une préoccupation anthroposophique et d’une pédagogie Waldorf qui se conçoit en exerçant l’auto-critique.

Et pourtant : l’ouvrage de Ullrich, aussi mal fondé qu’il soit de fustiger le dogmatisme et l’éloignement scientifique de l’anthroposophie, se trouve aussi justifié par le fait que depuis longtemps, les anthroposophes établissent précisément cette dogmatique dans leur penser et leur agir. Une pédagogie Waldorf de notre temps peut beaucoup apprendre de l’ouvrage d’Ullrich, quand bien même, elle ne s’y voit pas comprise. Il ne s’agira pas seulement pour elle d’importer pièce à pièce l’anthroposophie en tant qu’échafaudage d’enseignement et d’idées dans la pédagogie Waldorf. Ullrich semble n’avoir en effet que ceci en vue. Une pédagogie Waldorf actuelle conçoit l’anthroposophie en tant que méthode et non pas comme contenu. L’idéal scientifique de cette méthode, c’est la phénoménologie. Une prise de distance critique à l’égard de tous les contenus anthroposophiques et déclarations de Steiner en est inaliénable. L’anthroposophie est révisée foncièrement dans sa relevance et son utilité pratique pédagogiques. Il s’agit ensuite de la mettre à l’épreuve d’une manière purement heuristique [méthode active dans laquelle l’élève découvre lui-même ce qu’on veut lui enseigner, ndt] et d’une façon hautement auto-réflexive de fréquenter les déclarations de Steiner. L’anthroposophie n’est pas la totalité intangible, qui entre non filtrée dans la pédagogie Waldorf. Une compréhension moderne interroge non pas uniquement le fait que l’anthroposophie imprègne la pédagogie Waldorf, elle questionne aussi l’art et la manière, et donc la forme du comment l’anthroposophie soutient d’une manière plus profonde la pédagogie Waldorf. Et elle interroge, en même temps et par conséquent, évalue dans quelle ampleur, dans quelle mesureelle le fait. Cela veut dire que l’influence de l’anthroposophie sur la pédagogie Waldorf doit être vérifiée de manière critique relativement à la forme et est seulement admissible dans la mesure où le bénéfice pédagogique en devient visible et que n’en est pas lésé l’idéal de liberté et d’autonomie de l’être humain moderne.

 

Références

 

Barz, Heiner (2013): Unterrichten an Waldorfschulen: Berufsbild Waldorflehrer: Neue Perspektiven zu Praxis,Forschung, Ausbildung [Enseignement en écoles Waldorf: image professionnelle de l’enseignant Waldorf, Nouvelles perspectives pour la pratique, la recherche et la formation]. Wiesbaden

Barz, Heiner/Randoll, Dirk (2007): Absolventen von Waldorfschulen. Eine empirische Studie zu Bildung und Lebensgestaltung ehemaliger Waldorfschüler. [Ceux qui ont achevé leur scolarité Waldorf. Une étude empirique sur la formation et l’organisation de vie d’anciens élèves de l’école Waldorf] Wiesbaden.

Liebenwein, Sylva/Barz, Heiner/Randoll, Dirk (2012): Bildungserfahrungen an Waldorfschulen. Empirische Studie zu Schulqualität und Lernerfahrungen[Expériences de formation aux écoles Waldorf. Études empiriques sur la qualité scolaire et les expériences d’élèves.] Wiesbaden.

Frielingsdorf, Volker (2012): Waldorfpädagogik in der Erziehungswissenschaft. Ein Überblick (Pédagogie Waldorf dans la science de l’éducation. Un aperçu]. Beltz/Juventa-Verlag: Weinheim/Basel.

Idel, Till-Sebastian (2007): Waldorfschule und Schülerbiographie. Fallrekonstruktionen zur lebensgeschichtlichen Relevanz anthroposophischer Schulkultur [École Waldorf et biographie d‘élèves. Reconstructions de cas pour la relevance d’histoire de vie d’une culture scolaire anthroposophique]. Wiesbaden.

Kranich, Ernst-Michael (1993): Pflanzen als Bilder der Seelenwelt: Skizze einer physiognomischen Naturerkenntnis [Les Plantes en tant qu’images du monde de l’âme: esquisses d’une connaissance de la nature physiognomonique]. Stuttgart.

Krautz, Jochen (2007): Ware Bildung. Schule und Universität unter dem Diktat der Ökonomie [Marchandisation de la formation. Écoles et Universités sous le dictat de l’économie]. München.

Kunze, Katharina (2011): Professionalisierung als biographisches Projekt: Professionelle Deutungsmuster und biographische Ressourcen von Waldorflehrerinnen und Waldorflehrern.[Professionnalisation en tant que projet biographique: modèle professionnel d’interprétation et ressources biographiques des enseignant(e)s Waldorf] Wiesbaden.

Ullrich, Heiner (1986): Waldorfpädagogik und okkulte Weltanschauung. Eine bildungsphilosophische

und geistesgeschichtliche Auseinandersetzung mit der Anthropologie Rudolf Steiners [Pédagogie Waldorf et conception occulte du monde. Une confrontation de formation philosophique et d’histoire spirituelle avec l’anthropologie de Rudolf Steiner]. Weinheim/München.

Ullrich, Heiner (2004): Das Andere Erforschen. Neuere Studien zur Reform- und Alternativschulforschung [Explorer l’autre. Nouvelles études sur la recherche de réforme et d’alternance].(Mitherausgeber: Till-Sebastian Idel / Katharina Kunze).Wiesbaden.

Ullrich. Heiner (2007): Autorität und Schule. Die empirische Rekonstruktion der Klassenlehrer-Schüler-

Beziehungen an Waldorfschulen [Autorité et école. La reconstruction empirique des relations maître de classe- élèves dans les écoles Waldorf]. (mit Helsper, W. /Stelmaszyk, B. / Graßhoff, G./ Höblich, D. / Jung, D.). Wiesbaden.

Ullrich, Heiner (2011): Rudolf Steiner – Leben und Lehre [Rudolf Steiner — Vie et doctrine].München.

Paschen, Harm (Hrsg.) (2010): Erziehungswissenschaftliche Zugänge zur Waldorfpädagogik. Diskussion paradigmatischer

Beispiele zu epistemischen Grundlagen, empirischen und methodischen Zugängen und Unterrichtsinhalten [Accès de science de l’éducation à la pédagogie Waldorf. Discussion d’exemples paradigmatiques au sujet des bases épistémologiques, accès empiriques et méthodiques et contenu d’enseignement] Wiesbaden.

Prange, Klaus (1985): Erziehung zur Anthroposophie [Éducation à l’anthroposophie] BadHeilbrunn 1985.

Randoll, Dirk/Barz, Heiner (2007): Bildung und Lebensgestaltung ehemaliger Schüler von Rudolf Steiner Schulen in der Schweiz. Eine Absolventenbefragung [Formation et organisation de vie d’anciens élèves des écoles Rudolf Steiner en Suisse. Une interrogation de ceux qui y ont achevé leurs études]. Frankfurt a. M.

Randoll, Dirk (2013): Ich bin Waldorflehrer: Einstellungen,Erfahrungen, Diskussionspunkte - Eine Befragungsstudie. [Je suis enseignant Waldorf: positionnements, expériences, points de discussion — une étude interrogative] Wiesbaden.

Steiner, Rudolf (1927/1986): Gegenwärtiges Geistesleben und Erziehung. Ein Vortragszyklus, gehalten in Ilkley (Yorkshire) vom 5. bis 17. August 1923 [Vie de l’esprit et éducation actuelles. Un cycle de conférences à Ilkley (Yorkshire) du 5 au 17 août 1923]GA 307Dornach/Schweiz.

Steiner, Rudolf (1991): Das Schicksalsjahr 1923 in der Geschichte der Anthroposophischen Gesellschaft. Vom Goetheanumbrand zur Weihnachtstagung. Ansprachen - Versammlungen - Dokumente Januar bis Dezember 1923.[1923 : l’année du destin dans l’histoire de la Société anthroposophique. De l’incendie du (premier, ndt) Goetheanum au Congrès de Noël —Documents de janvier à décembre 1923] GA. 259. Dornach/Schweiz.

Steiner, Rudolf (2005): Fachwissenschaften und Anthroposophie. Acht Vorträge, elf Fragenbeantwortungen, ein Diskussionsbeitrag und ein Schlußwort. Dornach und Stuttgart 24. März 1920 bis 2. September 1921  [Sciences spécialisées et anthroposophie. Huit conférences, 11 questions et réponses.] GA 73a. Dornach/Schweiz.

Zander, Helmut (2007): Anthroposophie in Deutschland. Theosophische Weltanschauung und gesellschaftliche Praxis [L’anthroposophie en Allemagne. Conception théosophique du  monde et pratique sociétale 2 volumes. Göttingen.

 

[1] Ndt : J’ai personnellement entendu ce même reproche, lors d’un travail de branche, de la part de personnalités par ailleurs incapables d’imaginer que le Christ puisse être un « Frère » pour nous, au moins autant que le Verbe de Dieu. Connaître n’est cependant pas « imaginer » n’importe quoi, c’est un processus dynamique sans cesse à renouveler qui n’aura donc pas de limite au fur et à mesure que s’élèvera en conscience la spiritualité originelle, d’amour et de liberté, inhérente à l’être humain, venant librement prendre place dans le plan du divin et ceci dans un avenir qu’il est impossible de mesurer pour l’instant.

[2] Ndt : Une autre façon de dire plus simplement cela, c’est de dire que le connaître, partant de la connaissance matérialiste, bien reconnue et assumée cognitivement comme telle, peut progressivement s’en libérer et s’élever — sans rupture épistémologique, — jusqu’à appréhender des objets cognitifs non matériels, dont ceux  imaginatifs, inspirateurs et intuitifs, jusqu’à la découverte — toujours sans rupture épistémologique, d’une réalité spirituelle universelle.

 

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