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Questionnements, essais et contenus portant sur divers aspects liés à la science de l'esprit (science initiatique moderne) de Rudolf Steiner.
Beaucoup d'articles sur ce site requièrent un travail d'étude sérieux, portant sur des connaissances épistémologiques et ésotériques, pour être compréhensibles.

 

 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • «(...) c’est précisément parce qu’elle n’est pas une école d’anthroposophie que l’école Waldorf peut être façonnée et oeuvrer selon l’esprit de l’anthroposophie.»
    Stuttgart, 23 janvier 1923 - GA257

    Rudolf Steiner
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(Temps de lecture: 21 - 41 minutes)

William Adolphe Bouguereau 1825-1905 - The Day of the Dead 1859 

Extrait de la neuvième conférence du cycle « Macrocosme et microcosme »
Vienne, 29 mars 1910
Rudolf Steiner – GA119
2e édition - Éditions Anthroposohiques Romandes
Traduction : Christian Lazaridès
 

Note de la rédaction : Certaines personnes «adeptes» de l’anthroposophie (du moins est-ce leur représentation) évoquent l’importance de «la pensée du cœur». De quoi s’agit-il toutefois ? Ont-elles fait l’effort ne serait-ce que de lire ce que Rudolf Steiner lui-même en dit et de penser les concepts adéquats, ou projettent-elles sur ces mots leurs représentations personnelles plus ou moins fumeuses ? Pour y voir plus clair… prenons connaissance du concept tel qu’il est exposé par Rudolf Steiner. Nous verrons ci-dessous combien celui-ci renvoie à des contenus d’expérience très précis (et qui n’ont, dans la plupart des cas, rien à avoir avec la prétendue « pensée du cœur » brandie à tour de bras par les personnalités en question).

Dans la première partie de cet extrait de conférence, Rudolf Steiner évoque tout d’abord l’existence d’exercices pratiqués en vue de développer le premier degré de la connaissance des mondes supérieurs, appelé «Imagination», qui n’est pas à confondre avec l’imagination créatrice de l’enfant ou de l’artiste, par exemple. Pour mieux comprendre les liens qui existent entre imagination pathologique (hallucination), imagination créatrice (celle des enfants ou de l’acte artistique = fantaisie) et enfin l’Imagination en tant que faculté de connaissance objective des mondes supérieurs, lire par exemple «Les forces formatrices et leur métamorphose» de Rudolf Steiner (GA205).

Note 2 : Aucun des titres intercalaires ci-dessous ne fait partie de la conférence originelle ou du livre qui en a été tiré. Les titres intercalaires ont été ajoutés par la rédaction en vue d'accéder aux contenus plus aisément sur une page web.

Note 3 : Un lecteur nous écrit ceci le 19 juillet 2023 : «Le terme "Herzdenken" et l'expression "Denken des Herzens", en première recherche, n’apparaissent QUE dans GA119 ! De sorte qu'on pourrait se demander si Steiner a bien un jour (pourquoi spécialement à Vienne le 29 mars 1910 ?) prononcé ces mots. Bien sûr, on ne peut pas exclure que ce soit à l'intention de certain(s) auditeur(s) de la conférence qu'ils aient été prononcés, mais vu l'importance du sujet, c'est surprenant de ne retrouver à priori cette expression dans aucune autre transcription de l’œuvre orale de Steiner».
Dans la prolongation de cette interrogation, ce lecteur nous a aussi communiqué de très intéressantes et interloquantes remarques qui montrent qu'il existe des imprécisions dans le texte édité en allemand (voir note [1]).

 

Qu’est ce que «penser avec le cœur»?

(…) La connaissance imaginative, lorsqu’elle est véritablement atteinte, met ainsi l’être humain en situation de voir d’une certaine manière dans le monde spirituel.

Cela se passe de la façon suivante. L’être humain va devoir, de manière relativement longue, vivre dans la méditation intérieure ces images symboliques qui parlent à son sentiment, images prises directement dans la vie ou bien formules qui résument en elles de grands mystères universels. Mais il remarquera un jour – au début surtout au moment du réveil, puis durant la journée aussi s’il le veut, en détournant l’attention des expériences extérieures, – que quelque chose se tient devant son âme, quelque chose qui apparaît, au fond, à la façon des images symboliques qu’il s’était formées, mais telles cependant qu’il les a maintenant devant lui comme la connaissance ordinaire a devant elle des pierres ou des fleurs ; c’est donc en quelque sorte comme de véritables images symboliques dont il sait qu’il ne les a pas lui-même formées mais qu’elles surgissent devant lui. Déjà au cours de la période où on se prépare, selon le soin avec lequel on forme soi-même des images symboliques, on apprend à reconnaître comment on peut distinguer des images trompeuses, des images fausses de celles qui sont vraies. Celui qui se prépare de façon vraiment scrupuleuse et qui apprend ainsi devant toute chose à réprimer hors de sa vie supérieure ses opinions personnelles, ses souhaits, ses désirs et ses passions, celui qui apprend à ne pas tenir quelque chose pour vrai simplement parce que cela lui plaît, mais qui s’est exercé à faire abstraction de sa propre opinion – celui qui s’est exercé de manière aussi scrupuleuse – sait, à la vue d’une telle image symbolique, selon la façon dont elle lui apparaît, discerner immédiatement : «C’est quelque chose de vrai ! C’est quelque chose de faux !»

Il se développe alors quelque chose – et cela est important à considérer pour cette discrimination des vraies et des fausses images symboliques – que l’on ne peut désigner autrement qu’en l’appelant : penser avec le cœur. C’est en effet quelque chose qui apparaît au cours du développement tel qu’il a été décrit hier.

Dans la vie courante, l’être humain a l’impression qu’il pense pour ainsi dire avec la tête. Bien entendu il ne s’agit que d’une expression imagée ; on pense avec les organes spirituels qui sont à l’arrière-plan du cerveau ; mais tout le monde comprend ce que veut dire penser avec la tête. On a une impression tout autre vis-à-vis de cette pensée qui apparaît lorsqu’on a un peu avancé sur la voie que nous avons caractérisée. On a réellement l’impression de localiser maintenant dans le cœur ce qu’on localise d’habitude dans la tête. Ce n’est d’ailleurs pas le cœur physique non plus qui pense, mais cet organe que nous avons signalé et qui se forme, en tant qu’organe spirituel, dans la région du cœur, la fleur de lotus dite à douze pétales. C’est elle en fait qui devient une sorte d’organe de pensée pour ceux qui poursuivent un tel développement. Cette pensée qui apparaît alors se différencie très nettement de la pensée ordinaire.

Dans la pensée ordinaire, tout le monde sait que pour parvenir à une vérité il faut exercer ce qu’on appelle la réflexion, aller de concept en concept. On part d’un point donné et on va, par la logique, à d’autres points ; et ce à quoi on arrive avec le temps, en procédant à des déductions logiques, on l’appelle une vérité, une connaissance. Il s’agit d’une connaissance obtenue grâce à la pensée ordinaire. Il en est autrement si on veut connaître la vérité concernant ce qui a été présenté en tant qu’images symboliques réelles, véritables. On a devant soi ces images symboliques véritables comme on a d’ordinaire devant soi des objets extérieurs. La pensée de ces images ne peut pas être confondue avec l’habituelle pensée de la tête. Pour savoir si quelque chose est vrai ou faux, si on doit dire ceci ou cela à propos d’une chose ou d’un fait des mondes supérieurs, les réflexions ne sont pas nécessaires comme dans la pensée habituelle car cela se présente immédiatement. Dès que l’on a devant soi la chose ou le fait, on sait aussi ce qu’on peut s’en dire à soi-même et aux autres. Cette immédiatetéest la caractéristique de la pensée du cœur.

Il n’y a en fait pas beaucoup de choses de la vie courante qui peuvent être comparées à cela mais nous en proposerons une cependant à titre de comparaison. Dans la vie courante ce sont surtout des événements qui nous arrivent et devant lesquels notre compréhension s’arrête qui sont ressentis à la manière dont est ressentie une action ou une chose des mondes supérieurs ; il s’agit justement de choses devant lesquelles l’intelligence est suspendue dans un sens presque littéral. Supposez par exemple que vous assistiez à quelque événement qui se passe en un éclair et que vous soyez effrayés. Il n’y a pas alors de pensée qui s’intercale entre l’impression extérieure et votre frayeur. Votre expérience intérieure, la frayeur, est quelque chose qui peut laisser votre intelligence en suspens. C’est une expression tout à fait exacte que les gens utilisent car dans un tel événement ils sentent d’une certaine façon la chose exacte. Il en est de même si par exemple on se met en colère dans la rue à la vue de quelque action. Là aussi c’est l’impression immédiate qui déclenche l’expérience intérieure de l’âme. Dans la plupart de ces cas, on peut remarquer qu’ensuite, quand on commence à réfléchir, on porte intérieurement un autre jugement que celui lié à la première impression. Ces expériences, dans lesquelles une action ou bien une expérience de l’âme suit la première impression, sont les seules dans la vie courante à pouvoir se comparer aux expériences que fait l’investigateur spirituel, lorsqu’il veut se faire un avis sur ce qu’il vit dans les mondes supérieurs. Et il en est même ainsi, que si on commence à chercher le fin du fin, si on commence à faire de la critique, à partir de la logique, sur les expériences que l’on a dans les mondes supérieurs, on les chasse ! Ces expériences s’échappent si on cherche trop les subtilités selon la méthode de pensée habituelle, et on ne les a plus. C’est là un aspect de la chose. Et l’autre aspect c’est qu’en règle générale, par le moyen de la pensée habituelle, on fait sortir sur cette expérience quelque chose qui est faux.

 

Pourquoi devoir d’abord passer par la pensée intellectuelle?

Autant il est nécessaire – cela a déjà été dit – de passer par la discipline d’une bonne pensée rationnelle où l’on apprend d’abord à comprendre les choses avant d’accéder à des mondes supérieurs, autant il est nécessaire ensuite de s’élever au-dessus de cette pensée habituelle jusqu’à une appréhension immédiateEt c’est justement parce qu’il est si nécessaire d’apprendre à saisir immédiatement dans le monde supérieur que l’on doit, de l’autre côté, se soucier de poser des fondements logiques. On doit s’en soucier parce que sinon, à partir de son sentiment, on se tromperait sûrement. On n’est en fait pas capable de juger dans le monde supérieur si on n’y apporte pas la pensée logique habituelle ; on n’est pas non plus capable d’émettre des jugements dans le monde supérieur si l’on n’a pas auparavant formé la pensée logique dans le monde physique et si on ne peut ensuite, pour pouvoir penser dans le monde supérieur, l’oublier au bon moment.

Beaucoup de gens d’ailleurs semblent trouver des raisons suffisantes dans la caractéristique de la pensée supérieure, de la pensée dite «du cœur», pour se débarrasser tout à fait de la logique ordinaire. Car ils diront : «Si on doit ensuite l’oublier, alors ce n’est pas la peine de commencer par l’apprendre!». Seulement ce qui est oublié là c’est qu’on ne devient un autre être humain que si on est passé d’abord par la pensée sur le plan physique en tant que discipline, en tant qu’exercice. Il ne faut pas le faire dans le but de comprendre les mondes supérieurs grâce à cette pensée, mais avant tout pour faire de soi-même un autre être humain. Dans la pensée logique on fait aussi l’expérience de quelque chose. On y fait avant tout l’expérience d’une certaine forme de savoir. Il existe une forme de savoir logique et lorsqu’on éduque ce savoir logique, la chose essentielle qu’on obtient alors dans son âme c’est un certain sentiment de responsabilité vis-à-vis de la vérité et de la non-vérité ; or, sans ce sentiment de responsabilité vis-à-vis de la vérité et de la non-vérité, il n’y a pas grand-chose à faire dans les mondes supérieurs.

 

Trois niveaux d’évolution de la conscience «normale»

Il est vrai qu’on a de bonnes raisons dans la vie pour négliger la pensée en ce qui concerne l’accès aux mondes supérieurs. Car dans la vie courante actuelle l’être humain vit – ou du moins peut vivre – ces trois niveaux : il peut se trouver au niveau où se trouvent la grande majorité des gens actuels et qui correspond tout à fait au domaine de la conscience normale ; il peut donc se trouver au niveau où un sentiment immédiat, naturel, lui dit à propos de ceci ou de cela : « C’est bien, c’est mal, tu dois faire ceci, tu dois laisser cela. » Oui, l’être humain se laisse la plupart du temps guider par un tel sentiment immédiat. Demandez- vous donc combien d’êtres humains, présentement, prennent la peine de vraiment réfléchir à ce que sont pour eux les biens les plus sacrés.

Du fait que vous êtes nés dans une société donnée, disons, pas en Turquie, mais que vous soyez nés en Europe Centrale, vous avez acquis un sentiment élémentaire, non contrôlé, de tenir pour juste non pas le mahométisme mais le christianisme. Vous avez été élevé non pas en Turquie mais en Europe Centrale et c’est pourquoi vous ne considérez pas la vérité mahométane comme étant la bonne mais, par un certain sentiment, celle que vous avez trouvé dans le christianisme. Il ne faut pas se méprendre sur quelque chose comme çà ; cela peut conduire à une connaissance véritable de la vie. Ainsi nous devons être au clair que c’est souvent un sentiment élémentaire qui décide aussi dans ce que les êtres humains tiennent pour vrai ou pour faux. Pour la très grande majorité des gens, aujourd’hui encore, c’est un sentiment immédiat qui décide. C’est en quelque sorte un des niveaux d’évolution.

Le second degré est celui où l’être humain commence à réfléchir. Et de plus en plus les êtres humains d’aujourd’hui commencent à sortir du sentiment élémentaire et à réfléchir sur les choses dans lesquelles ils sont nés. Et c’est pour cette raison que nous voyons de nos jours tant de critique des traditions et des croyances sacrées anciennes. Tout ce qui apparaît comme critique est la réaction de l’entendement et de l’intellect contre ce que l’on a tout d’abord tiré du sentiment, du ressenti, sans le contrôle de l’entendement. Cette même activité de l’âme humaine qui se perd en critiques sur ce que l’éducation et la naissance ont apporté, nous la voyons régner par exemple dans ce que nous appelons la science, la science dans le sens actuel. Ce qu’on appelle aujourd’hui science dans le milieu le plus large, est en fait un travail de ces mêmes forces de l’âme que nous avons caractérisées. Les informations extérieures, les perceptions extérieures (que ce soit directement par les sens ou bien que ce soit par ces prolongements des sens que sont le télescope, le microscope ou apparentés), les informations venant par les sens sont combinées sous forme de lois à l’aide de l’intelligence et c’est ainsi qu’apparaît ce qu’on appelle la science intellectuelle.

En considérant ces deux moments du développement de l’âme humaine, nous voyons d’abord que l’être humain d’aujourd’hui peut tenir pour vrai ce qui parle à travers un sentiment élémentaire, non développé, un sentiment qu’il ne s’est pas donné lui-même, mais que lui ont apporté la naissance ou l’éducation. Deuxièmement nous pouvons entendre parler, en dehors de ce sentiment, ce qu’on appelle l’entendement, l’intelligence. Or celui qui a dans son âme un peu d’observation de soi-même sait que cette intelligence, telle qu’elle apparaît, a une particularité tout à fait précise. Elle doit avoir cette particularité ; elle ne peut exister sans cette particularitéElle agit en fait en tuant, en anéantissant le sentiment. Qui ignore, d’après une juste observation de l’âme, que toute activité pure de l’intelligence, toute activité pure de l’entendement, tue le sentiment, le ressenti. C’est de là que vient la crainte de ces gens qui ont une impulsion vers telle ou telle vérité à partir de certains sentiments élémentaires (ceux-ci étant d’ailleurs tout à fait justifiés à un certain degré de l’évolution de l’humanité) ; ils craignent de voir se corrompre de telles croyances, de telles vérités de la foi sous l’effet calcinant et dévastateur de l’intelligence.

C’est là encore une crainte justifiée. Mais si cette crainte va jusqu’à faire dire : « Pour aller dans les mondes supérieurs nous voulons à tout prix nous garder de toute pensée, nous voulons rester dans notre vie de sentiment » – si on parle ainsi, si on veut rester dans la vie immédiate et non développée du sentiment, alors on ne peut jamais accéder aux mondes supérieurs. On peut avoir toutes sortes d’expériences, mais celles-ci demeureront à un niveau inférieur. On doit prendre sur soi l’inconfort dû au fait de réellement discipliner sa pensée pour conquérir quelque chose qui est de la plus haute utilité pour la pratique dans le monde extérieur mais qui, pour celui qui veut évoluer dans les mondes supérieurs, n’est utile qu’en tant qu’exercice. Aucun de ceux qui parlent de façon véridique des mondes supérieurs n’élèvera un chant de louanges à ce qu’on appelle habituellement intelligence comme si la pure logique lui permettait de traiter des vérités des mondes supérieurs. Car cela on ne le peut pas en fait ; c’est une impossibilité. Ce que l’on peut appliquer en tant que pensée à des machines du monde extérieur, à la nature extérieure, à la science extérieure, cette pensée on ne peut pas l’appliquer de la même manière aux expériences et aux informations des mondes supérieurs.

Et celui qui commencerait à faire des associations avec sa pensée logique, avec son entendement, avec son intelligence, à propos des mondes supérieurs, ne pourrait venir à bout que de vérités à bon marché, de vérités qui n’ont que de peu profonds fondements, alors que pour ce qui est du monde physique extérieur, la pensée trouve une application immédiate, qu’elle s’avère utile dans la pratique. Sans l’intelligence nous ne pouvons pas construire de machines, de ponts ; sans l’intelligence nous ne pouvons pas fonder de botanique, de zoologie ; sans l’intelligence nous ne pouvons pas étudier la médecine dans le sens extérieur, et ainsi de suite. Nous avons là l’application de l’intelligence à l’objet immédiat. Pour le développement supérieur, l’intelligence n’a pas cette valeur mais elle a à peu près la valeur qu’a le fait d’apprendre à écrire dans notre jeunesse. L’apprentissage de l’écriture n’a d’importance que dans la mesure où on le dépasse. Lorsqu’on l’a dépassé on y voit la condition préalable à la faculté d’écrire. Pendant que nous apprenons à écrire nous ne pouvons pas encore exprimer des pensées grâce à l’écriture. Nous ne pouvons le faire que lorsque nous avons dépassé le stade de l’apprentissage de l’écriture. Apprendre à écrire est un exercice qui doit être accompli si on veut utiliser ce qui peut être appris de cette manière.

C’est à peu près la même chose pour l’entraînement de la logique pour celui qui veut poursuivre un développement supérieur. Il doit consacrer un temps à une certaine discipline de la pensée logique ; mais il doit ensuite avoir retiré tout cela pour pouvoir passer à la pensée du cœur et il lui reste, de ce qu’il a traversé au cours de sa discipline logique, ce que nous pouvons appeler une certaine habitude d’être scrupuleux vis-à-vis de ce qui est à « tenir pour vrai » dans les mondes supérieurs. Celui qui est passé par cette discipline ne tiendra pas pour vraie telle image trompeuse, ou ne prendra pas pour une imagination véritable telle image symbolique qu’il affectionne, ou bien il ne leur donnera pas n’importe quelle signification, mais il aura la force intérieure d’atteindre à la réalité, de la voir, et de l’expliquer dans un sens juste. C’est précisément parce qu’on doit revenir à une impression immédiate qu’est nécessaire une préparation d’autant plus complète et nuancée. On doit avoir un sens de ce qui est vrai ou faux. Pour parler de façon précise, il doit se passer ce qui suit. Alors que dans la vie courante on réfléchit aux choses d’après l’intelligence, on doit, vis-à-vis des choses supérieures, avoir éduqué son âme de telle manière que l’on ait à leur égard un sentiment immédiat de ce qui est vrai ou faux.

 

Ressentir de la douleur devant l’erreur

En dehors de ce qui a été indiqué, c’est aussi une bonne préparation à une telle décision immédiate que de s’être habitué à quelque chose qui existe aussi dans la vie courante, bien que dans une mesure beaucoup plus limitée. Dans la vie courante, l’être humain ressentira pas mal de douleur, il poussera même peut-être des cris de douleur, si vous le piquez avec une aiguille ou si vous lui versez de l’eau bouillante sur la tête, ou dans des cas similaires. Mais interrogeons-nous sur combien d’être humains ressentent vraiment quelque chose de semblable à la douleur – je dis explicitement : de semblable à la douleur – lorsque quelqu’un affirme quelque chose d’insensé, quelque chose d’absurde. Pour beaucoup de gens c’est finalement quelque chose de tout à fait supportable. Mais celui qui évolue jusqu’à ce sentiment immédiat dont il vient d’être parlé, si bien qu’il peut avoir une expérience directe vis-à-vis de l’imagination, du monde imaginatif : « Cela est vrai ! Cela est faux ! » – celui-là doit s’exercer à ce qu’une erreur lui fasse mal et que la vérité qu’il rencontre, déjà ici dans la vie physique, lui apporte joie et satisfaction.

En dehors même de tout le reste, cela est épuisant et on peut relier quelque peu cela à l’aspect exténuant de la préparation pour l’entrée dans les mondes supérieurs à certaines époques. C’est sûrement quelque chose de plus confortable pour la santé de passer de manière indifférente devant l’erreur et la vérité plutôt que de ressentir dans la vie courante, de la douleur devant l’erreur et de la satisfaction devant la vérité. On a aujourd’hui amplement l’opportunité de prendre en mains un livre ou un autre et de ressentir de la souffrance pour ce qui s’y trouve d’insensé, à la façon dont on ressent de la douleur à cause d’une blessure physique. Éprouver de la douleur, ressentir de la souffrance vis-à-vis de ce qui n’est pas vrai, vis-à-vis du mauvais, du mal, même si cela ne nous est pas destiné mais se manifeste simplement autour de nous, éprouver du plaisir vis-à-vis du beau, du vrai, du bien, même si cela ne nous arrive pas personnellement, cela fait partie de l’entraînement de celui qui veut s’initier à la pensée du cœur, et qui veut ensuite s’élever au niveau où il a un sentiment immédiat vis-à-vis d’une imagination, comme cela a été exposé.

 

Penser contradictions et harmonies de manière nouvelle 

Mais il y a encore quelque chose qui fait partie de cette préparation. Lorsqu’en fait on s’élève vraiment dans le monde imaginatif, que l’on éprouve en images ce qui appartient à un monde supérieur, il faut alors acquérir quelque chose que l’on n’a pas encore dans la vie ordinaire, on doit nommément apprendre à penser d’une manière nouvelle à propos de ce qu’on appelle dans la vie ordinaire contradiction et harmonie. Beaucoup pourront ressentir dans la vie courante, à l’occasion de telle ou telle déclaration, que deux affirmations se contredisent. Si nous laissons de côté le dicton rebattu : « Quand deux personnes disent la même chose, ce n’est pas la même chose ! » – d’où il s’ensuit que, quand deux personnes disent des choses différentes, ce pourrait bien être la même chose –, si donc on ne s’intéresse pas à ce dicton, il peut cependant nous apparaître déjà dans la vie courante que deux individus ressentent quelque chose de tout à fait différent dans des circonstances identiques. Si donc l’un décrit son expérience, ça peut être une tout autre expérience que celle que l’autre décrira, celle-ci s’étant déroulée dans les mêmes conditions, et toutefois, il nous faut le dire maintenant, tous les deux peuvent avoir raison selon leur propre point de vue.

Supposons que l’un nous raconte : «J’étais à tel endroit. Là j’ai retrouvé la vie ! Il y a un air qui est sain, j’ai retrouvé des forces.» Nous l’écoutons et, a priori, nous devons le croire. Arrive alors un autre ; il arrive du même endroit et nous dit : « Oui, cet endroit ne vaut vraiment rien ! J’y ai perdu toutes mes forces, je suis devenu tout faible. C’est un endroit hautement malsain ! » À nouveau nous ne pouvons que le croire. Tous les deux peuvent au fond avoir raison. Supposons que le premier soit un homme robuste qui était seulement épuisé et harassé par le travail ; une nature robuste peut justement être harassée par le travail parce qu’elle passe directement d’une impulsion à un énorme travail qu’elle accomplit directement en peu de temps ; et dans ce cas l’air vif peut s’avérer extraordinairement régénérateur. Supposons maintenant que ce soit un être maladif qui vienne à cet endroit, quelqu’un qui justement ne peut pas supporter l’air frais. Il se met à décliner, il décline sous l’effet de ce qui est sain pour l’autre. Ils ont raison tous les deux du fait que tous deux ont apporté, avec leur personne, des dispositions de base différentes dans cet endroit. Des affirmations opposées peuvent se concilier déjà dans la vie courante, si on tient compte de tous les aspects.

Mais la chose devient beaucoup plus compliquée quand on s’élève dans les mondes supérieurs. Là, il arrive sans arrêt que quelqu’un entende certains propos, disons dans une conférence sur tel ou tel sujet ; dans une autre conférence il entend, sur le même sujet, quelque chose d’apparemment différent et il applique à la chose l’étalon que l’on applique aux paroles dans la vie courante. Il découvre une sorte de contradiction et dit : «Eh bien, cela ne peut pas être vrai puisque ça se contredit!» Je m’attacherai à quelque chose de tout à fait immédiatement proche, ces jours-ci, et par là je toucherai aussi à quelque chose que je n’ai pu aborder hier par manque de temps. Je toucherai au fait que quelqu’un a entendu au cours de l’un de mes précédents cycles de conférences[1]la chose suivante : quand l’être humain descend vers une nouvelle naissance, ce que nous pouvons appeler l’élément astral qui descend vers l’incarnation peut être observé comme traversant l’espace astral à une vitesse prodigieuse pour se rendre à l’endroit où il veut s’incarner. Cet aperçu, cette observation qui peut absolument être faite, a donc été mentionnée une fois au cours d’un cycle de conférences. Au cours du cycle de ces jours-ci, il a été dit que l’être. humain travaille longtemps, très longtemps, à ce qu’il possède en fin de compte en tant que dispositions héréditaires, qu’il collabore lui-même à la formation de ces dispositions qu’il trouve en fin de compte dans la famille et dans le peuple au sein desquels il est né.

Si on veut juger en fonction de ce qu’on appelle d’ordinaire une contradiction, on peut bien entendu trouver facilement là quelque chose de contradictoire. Toutefois l’une et l’autre sont des expériences authentiques ; et du fait qu’on ne peut pas toujours tout dire, on ne peut pas chaque fois qu’une expérience est décrite, décrire aussi celle qui lui correspond sous un autre aspect. Chacune des deux est exacte. Pour prendre une comparaison, on peut déjà résoudre quelque chose de la contradiction par ce qui suit. Est-ce que vous n’avez pas déjà fait l’expérience suivante : quelqu’un a par exemple scrupuleusement préparé ceci ou cela pendant cinq ou six jours, et le septième jour – alors qu’il sait bien que la veille c’était terminé – il ne peut plus trouver la chose en question. Il doit alors se mettre à chercher partout dans la pièce où il a bien pu mettre cela. En fait vous pouvez voir : pendant cinq à six jours il prépare tout à fait méthodiquement la chose et, au septième jour, vous assistez à la façon dont il se met à chercher la chose même qu’il avait ainsi préparée. Les deux aspects sont là. Il existe quelque chose de similaire pour les choses dans les mondes supérieurs. Une élaboration comme celle que nous avons indiquée a absolument lieu mais, du fait que les expériences sont très compliquées, il est possible que l’être humain ait encore à chercher juste au moment où ce qui descend des mondes supérieurs veut s’unir avec le corps physique et le corps éthérique, du fait qu’une sorte d’obscurcissement de la conscience se produit. Et l’être humain, pourvu d’un niveau inférieur de conscience après cet obscurcissement, doit chercher ce qu’il avait préparé dans un niveau supérieur de conscience.

Nous voyons grâce à cet exemple que quelque chose peut s’avérer nécessaire lorsqu’on s’élève dans ces mondes supérieurs. Quand on suit quelque part un chemin, quand on veut entrer dans les mondes supérieurs, dans le monde de l’imagination, on doit toujours s’attendre à l’éventualité qu’une chose se présente de façon changeante.

 

[1] « Théosophie du Rose-Croix » (Münich 1907 - GA99) aux Éditions Anthroposophiques Romandes. Également accessible sur le présent site au format podcast (la 4ème conférence) : https://www.soi-esprit.info/podcast-intro/liste-categories-podcasts/podcast-ga099-theosophie-du-rose-croix. Le passage précis dont il est question se trouve sur Youtube ici. Il vaut cependant mieux écouter l'ensemble de la conférence pour comprendre le contexte de ce passage.

 

[Caractères gras, soulignés et italiques S.L.]

Rudolf Steiner

Note de la rédaction

[i]Comme le sujet de cet extrait de conférence est important, le lecteur en question s'est donc posé la question de la précision du texte et il a été voir dans les "Anmerkungen" de l'édition électronique de GA119 en langue allemande. les "Anmerkungen" sont des remarques publiées en fin de volume par les éditeurs. «Le moins que l'on puisse dire», nous écrit ce lecteur, «c'est que la précision n'est pas terrible».
Nous avons déjà mentionné à de multiples reprises, que pour diverses raisons, les conférences de Rudolf Steiner publiées dans divers ouvrages ne reflètent pas fidèlement ce qu'il a réellement dit (voir par exemple une IMPORTANTE mise au point ici).

Voici ce qui est mentionné dans les "Anmerkungen" relatives à ce cycle de conférences qui constituent une excellente illustration de la mise au point susmentionnée :

REMARQUES
Documents textuels : Il existe cinq versions différentes de transcriptions des conférences, rédigées par des participants dont le nom n'est pas connu.
En outre, il existe une version de texte rédigée plus tard par Alfred Meebold à partir de deux manuscrits qui circulaient à l'époque dans les cercles de membres
Meebold a reproduit le texte qu'il avait élaboré et a écrit dans l'introduction sur les documents utilisés à cet effet : "... Ces notes sont imprimées comme les cycles, mais elles sont si lacunaires et pleines d'erreurs que je ne peux pas croire qu'elles aient été distribuées avec l'accord du Dr Steiner". - Cela est sans aucun doute vrai, car la publication des conférences initialement prévue sous forme de "cycle 11" n'a pas eu lieu
Meebold écrit encore : "A plusieurs reprises, lors de l'élaboration du texte, j'ai inclus les deux versions dans le texte, où elles sont alors juxtaposées comme des répétitions, de sorte que la répétition ne vient pas toujours du Dr. Steiner.... Il était étonnant de voir à quel point de telles réécritures différaient souvent dans le texte, même si le sens n'était pas toujours différent"
La première édition n'a été publiée qu'en 1933, sous la direction de Marie Steiner. Cette première impression n'était basée que sur une seule retranscription. Lors de la 2e édition en 1962, des compléments ont pu être intégrés à partir d'une deuxième copie.
En dérogation à ces indications, la 3e édition de 1988 a été réalisée en regroupant de manière détaillée tous les documents parvenus aux archives, en partie seulement au cours
des dernières années.
Il s'est avéré que la première version imprimée présentait une faiblesse particulière : le copiste a parfois rallongé les phrases à sa guise en utilisant des mots de remplissage superflus ou en répétant des passages de phrases antérieurs. Ces intercalations arbitraires ne sont pas contenues dans les autres copies ni dans la première transcription de deux conférences par le même copiste. C'est pourquoi ils ont été supprimés, car ils ne proviennent manifestement pas de Rudolf Steiner.
Le texte ainsi élaboré à partir de plusieurs retranscriptions rend compte du contenu et de la structure des conférences de Rudolf Steiner, mais ne peut pas être considéré comme une formulation sûre. Il peut encore contenir des erreurs, des lacunes ou des imprécisions qui, en l'absence d'un sténogramme littéral, ne peuvent être éliminées. Les quelques ajouts effectués par l'éditeur sont signalés par des crochets [ ].

 

Note de la rédaction
Un extrait isolé issu d'une conférence, d'un article ou d'un livre de Rudolf Steiner ne peut que donner un aperçu très incomplet des apports de la science de l'esprit d'orientation anthroposophique sur une question donnée.

De nombreux liens et points de vue requièrent encore des éclairages, soit par l'étude de toute la conférence, voire par celle de tout un cycle de conférence (ou livre) et souvent même par l'étude de plusieurs ouvrages pour se faire une image suffisamment complète !
En outre, il est important pour des débutants de commencer par le début, notamment par les ouvrages de base, pour éviter les risques de confusion dans les représentations.

Le présent extrait n'est dès lors communiqué qu'à titre indicatif et constitue une invitation à approfondir le sujet.
Le titre de cet extrait a été ajouté par la rédaction du site  www.soi-esprit.info   

 À NOTER: bien des conférences de Rudolf Steiner qui ont été retranscrites par des auditeurs (certes bienveillants), comportent des erreurs de transcription et des approximations, surtout au début de la première décennie du XXème siècle. Dans quasi tous les cas, les conférences n'ont pas été relues par Rudolf Steiner. Il s'agit dès lors de redoubler de prudence et d'efforts pour saisir avec sagacité les concepts mentionnés dans celles-ci. Les écrits de Rudolf Steiner sont dès lors des documents plus fiables que les retranscriptions de ses conférences. Toutefois, dans les écrits, des problèmes de traduction peuvent aussi se poser.
Merci de prendre connaissance
d'une IMPORTANTE mise au point ici.

 

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