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 « Le problème le plus important de toute la pensée humaine : Saisir l'être humain en tant qu'individualité libre, fondée en elle-même »
Vérité et Science, Rudolf Steiner

   

Citation
  • « Les jugements conformes à la réalité ne se laissent pas formuler facilement, surtout pas lorsqu'ils touchent à la vie sociale, à la vie humaine ou politique, car dans ces domaines le contraire de ce que l'on pense est presque toujours tout aussi exact. Par contre, si l'on essaie de ne prononcer absolument aucun jugement, mais de se faire plutôt des images, c'est-à-dire si l'on commence à s'élever jusqu'à la vie imaginative, alors seulement on peut se rapprocher de la bonne voie. À notre époque, il est capital d'essayer de se faire des images, et non de porter des jugements qui à la vérité sont abstraits et définitifs. Ce sont aussi les images qui pousseront à la socialisation. Et puis, sachons encore qu'il n'y aura pas de socialisation tant que l'être humain ne cultivera pas la science de l'esprit. Deux choses lui sont donc nécessaires : d'un côté la liberté de la pensée, et de l'autre la science de l'esprit. »

    Dornach, 6 décembre 1918 – GA186

    Rudolf Steiner
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Rudolf Steiner a un jour effectué une conférence entièrement sur Joseph de Maistre – dont quelqu'un trouvera peut-être les références, mais qui m'a été donnée, imprimée, par le regretté Jean-Marc Dérobert après que j'ai eu fait moi-même une conférence sur le philosophe savoyard du XIXe siècle à l'école Steiner de Genève. Je connaissais les affirmations de Michel Joseph selon lesquelles Joseph de Maistre avait corrompu la belle spiritualité russe et suscité le communisme lorsqu'il avait vécu à Saint-Pétersbourg, et il est possible que Steiner soit allé aussi dans ce sens, et qu'on puisse également m'en donner les références. Mais quoi qu'il en soit, dans la conférence que j'ai mentionnée Steiner était plutôt élogieux, à l'égard de l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg – et cela jette certainement un défi aux anthroposophes français, plutôt situés dans le camp idéologique opposé à celui du philosophe de la Contre-Révolution. On peut dès lors se demander à quel titre Steiner lui trouvait des qualités, lui qui a si souvent parlé contre les Jésuites.

Car, à Saint-Pétersbourg, précisément, Maistre fréquentait les Jésuites, et c'est peut-être ce qu'a voulu dire Michel Joseph. Car bien sûr, il serait ridicule d'imaginer que Joseph de Maistre ait consciemment voulu le communisme, alors même qu'il se dressait contre le républicanisme en France. Ce qui est historiquement vrai est qu'il s'en prenait à l'orthodoxie grecque pour défendre la doctrine catholique romaine et que, malgré l'amitié qui le liait au tsar Alexandre, il a dû quitter la Russie avec l'ensemble des Jésuites, lorsque, irrités par leur prosélytisme, les Russes les ont expulsés de leur pays. Joseph de Maistre s'est rapproché d'eux une fois arrivé à Saint-Pétersbourg : il n'y était pas pour une mission religieuse, mais comme ambassadeur du roi de Sardaigne. Là, il n'a pas fréquenté seulement les Jésuites, mais aussi les francs-maçons mystiques, dont il avait été lui-même lorsqu'il vivait en Savoie : trouvant le catholicisme ordinaire trop fade, il s'était rallié à la loge martiniste de Lyon, et lisait effectivement Louis-Claude de Saint-Martin, Jean-Baptiste Willermoz et Martinès de Pasqually.

Il pratiquait même la théurgie, pourtant proscrite jadis par saint Augustin, et se pensait assez initié pour sonder la volonté divine : sa version de l'histoire de la Révolution est essentiellement providentialiste, et jure avec les explications plutôt mécanistes et figées des autres écrivains catholiques du temps. Car Maistre, choqué par les dérives de la Révolution, l'invasion de la Savoie, l'irréalisme des philosophes et la haine de l'Église catholique, a rejeté aussi, finalement, les excès de l'illuminisme, qui attendait sans arrêt des prêtres mille miracles – qu'ils fussent des mages, et eussent des révélations incessantes. Il rétorquait que l'amélioration morale d'un jeune homme ardent de concupiscence était bien un miracle aussi grand que de diriger magiquement les vents, et que sous ce rapport les prêtres catholiques restaient fort utiles, même quand ils n'étaient que d'ordinaires curés.

Son réalisme paradoxal, nourri de mysticisme, attendait de la Révolution une régénération de l'Église et de la royauté, et il a même énoncé que si l'Église catholique ne se régénérait pas, la Providence pourrait susciter une nouvelle religion. Il entendait par là : rétablir le lien avec la divinité et le monde spirituel. Il restait jusqu'à un certain point dans la perspective de l'illuminisme – même s'il a peu à peu remplacé la lecture de Louis-Claude de Saint-Martin par celle d'Origène. Mais il continuait à se défier de saint Augustin et de son rationalisme excessif.

Son attente était surtout que la France et l'Angleterre reviennent dans le giron chrétien et catholique, et que le monde en soit transformé. Mais il espérait aussi une grande descente du Saint-Esprit sur les individus, et là ses contradictions ne se trouvaient pas résolues, car, comme l'a dit Steiner, l'Église conservait et conserve sa dimension communautaire et ne concède qu'au pape l'inspiration divine fiable. C'est à ce titre qu'il a marqué la différence de l'anthroposophie : ce en quoi elle s'écartait de la doctrine maistrienne.

Car sinon, comme je l'ai dit, il disait du bien de Joseph de Maistre. Il a déclaré que son importance considérable était méconnue. Quelle différence avec ce qu'il a énoncé de Louis-Claude de Saint-Martin, que lui préfèrent généralement les anthroposophes parisiens – selon quoi il n'avait fait dans son œuvre qu'édulcorer Jacob Böhme ! Mais alors, que trouvait-il à ce Savoyard peu aimé à Paris ?

Selon lui, il avait conservé une faculté de clairvoyance héritée de l'ancienne tradition perse, et passée dans le catholicisme. Elle existait surtout au Moyen Âge et donc, à la toute fin du dix-huitième siècle, était déjà décalée. Maistre, certes, avait parfaitement vu, disait Steiner, les forces diaboliques à l'œuvre derrière une certaine philosophie – derrière en particulier le matérialisme de John Locke. Il avait décelé que ce dernier était à demi conscient seulement lorsqu'il écrivait ce qu'il écrivait, et qui était souvent absurde et contre le bon sens le plus élémentaire. Donc une entité extérieure, que Maistre estimait satanique, lui parlait – lui soufflait ce qu'il écrivait. Steiner ajoute cependant que, prisonnier de cette clairvoyance traditionnelle, Maistre ne distinguait pas forcément les forces d'évolution à l'œuvre derrière le mouvement des Lumières, et que cela l'amenait à le caricaturer, notamment lorsqu'il faisait de Voltaire la littérale incarnation du diable. Steiner disait encore que Maistre avait surtout éveillé en lui ces forces de clairvoyance lorsqu'il s'était installé en Russie : auparavant, il restait engoncé dans la tradition du royaume de Piémont-Sardaigne, exclusivement catholique. Au vu des faits énoncés précédemment, c'est pour le moins paradoxal. Mais il n'en reste pas moins que Les Soirées de Saint-Pétersbourg sont un des ouvrages majeurs de la littérature moderne ; or, effectivement, Maistre s'y montre de ton libre, chaleureux, plastique et mouvant, tandis que dans ses livres précédents il était plutôt doctrinaire.

À noter qu'il s'opposa à la théologie romaine parce qu'il refusait d'admettre que saint Pierre avait créé consciemment l'institution catholique : selon lui, Simon Pierre avait été dans une inspiration moins claire, moins rationalisée que ne le voulait cette doctrine. Cela reflétait son propre cheminement, nourri d'images venues du monde spirituel que la raison ne clarifiait que peu à peu. Plus naïvement, la théologie officielle croyait en des clartés subites et miraculeuses, d'une façon abstraite, moins foncièrement liée à la nature de l'âme humaine, telle qu'elle est normalement. La Savoie restait proche de la nature, comme Rousseau l'a dit. J'en reparlerai, à l'occasion.

 

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